Vincent Bolloré, PDG de Vivendi, en 2015. | Bloomberg / Bloomberg via Getty Images

« On fait contre mauvaise fortune bon cœur. » C’est sans affect apparent que Vincent Bolloré a accueilli le verdict de l’Autorité de la concurrence, jeudi 9 juin. Sa première défaite de taille depuis son arrivée à la tête de Vivendi en 2014.

Comme si la longue campagne menée par son groupe pour convaincre l’antitrust de restaurer une forme de monopole dans la diffusion du sport n’avait été qu’une péripétie.

Le projet d’accord avec BeIN Sports, qui taille des croupières à Canal+ depuis 2012, avait pourtant été présenté comme vital pour redresser la chaîne cryptée, qui perd de nombreux abonnés. «  Cet accord était important, nuance l’industriel breton, interrogé par Le Monde. Avoir une offre sport avec BeIN aurait été constitutif d’une meilleure clarté et aurait déclenché une nouvelle dynamique. Mais les injonctions de l’Autorité de la concurrence tombent en 2017. C’est à la fois très loin, car il y a le feu, et très près.  » Pour M. Bolloré, la partie est donc remise : une large discussion va s’ouvrir avec le régulateur, afin de redéfinir le cadre dans lequel Canal+ évolue.

Un traitement de choc

C’est notamment le caractère d’urgence brandi par Canal+ que l’Autorité n’a pas retenu. Est-ce un signe que la situation a été dramatisée par le groupe, afin de faire pression sur la décision ? « Ce qui fait l’émotion sur Canal+, c’est qu’on est passés d’un moment où personne ne disait rien à une situation où on a tout mis sur la table », se défend M. Bolloré.Il rappelle que Canal+ en France devrait perdre 400 millions d’euros en France en 2016.

« Tout le monde connaissait les chiffres des pertes, mais ils n’étaient pas donnés pour préserver l’image de Canal. Le bruit de fond selon lequel nous aurions noirci le tableau à dessein est factuellement faux », ajoute-t-il

En attendant 2017, la chaîne cryptée est promise à un traitement de choc. Pas question toutefois de la fermer, comme l’avait laissé entendre M. Bolloré le 21 avril… « J’ai toujours dit que cette entreprise est redressable, rappelle-t-il. C’est pourquoi j’y ai investi. Dans notre univers, il y a par exemple Sky, qui fait face à la même concurrence et gagne beaucoup d’argent. »

« Nous n’avons qu’un seul problème, ce sont les chaînes payantes éditées par nous-mêmes, tout le reste est rentable, poursuit l’industriel breton. On a tendance à se focaliser sur le “clair” de Canal+ comme un drame national, mais cela ne représente que 60 millions d’euros de recettes publicitaires par an sur 1,5 milliard de revenus générés par les abonnements. Je suis tout à fait optimiste sur la suite. »

« Etre plus segmentant »

En attendant, place à la réduction des coûts : « Canal+ est à la diète depuis neuf mois. Ce n’est pas agréable mais tout le monde s’y fait », estime M. Bolloré. Parmi les mesures qui ont frappé les esprits, la baisse du budget consacré au Festival de Cannes aurait permis une économie de 5 millions d’euros. Même si le départ de 21 dirigeants parmi les 25 plus importants du groupe a été très commenté, M. Bolloré souligne qu’il n’y a eu aucun plan social au sein du groupe, qui compte 7 000 salariés. La production a été aussi revue : le groupe a racheté les Studios de Boulogne, afin d’internaliser les émissions-maison (« Canal Football Club », « Le Tube », « Le Grand Journal ») et générer des économies. Seul le cinéma devrait échapper à la purge. « Notre investissement est garanti », précise M. Bolloré, qui sait que le milieu s’est mobilisé en faveur de l’accord avec BeIN Sports.

« Le sort de Canal+ ne se joue pas sur un animateur »

Mais au-delà de tailler dans les coûts, l’enjeu est aussi de regagner des clients. L’abonnement « monobloc » à 40 euros ne sera plus le choix unique. « On ne va pas baisser le prix de l’abonnement de Canal+ mais il faut être plus segmentant en termes d’offres, avec des options », explique M. Bolloré. Une nouvelle grille tarifaire sera dévoilée dans les prochains mois.

Les plages gratuites de Canal+ seront aussi drastiquement réduites. « Le clair représentera une à deux heures par jour maximum », contre « six ou sept » aujourd’hui, annonce le président de Vivendi. Selon lui, ces plages ne sont pas un levier de recrutement d’abonnés, à l’exception du Canal Football Club, l’émission qui précède le match de Ligue 1 le dimanche soir. Le départ des figures de l’antenne – de Yann Barthès à Maïtena Biraben, en passant par Ali Baddou – ne constitue donc pas un drame aux yeux de M. Bolloré. « Le sort de Canal+ ne se joue pas sur un animateur », assure-t-il.

Doubler l’audience de D8

Canal+ compte aussi accélérer dans la télévision gratuite. Le groupe mise sur ses trois chaînes TNT, D8, D17 et iTélé, en passe d’être rebaptisées C8, CStar et CNews avec l’accord du Conseil supérieur de l’audiovisuel, obtenu jeudi 9 juin. M. Bolloré veut notamment doubler le nombre de téléspectateurs de D8, pour atteindre environ 8 % d’audience. De plus, la chaîne d’information n’est « pas à vendre », répète l’homme d’affaires, qui a écarté l’option d’une cession souhaitée par certains de ses lieutenants, aux yeux desquels l’information ne se prête pas à la stratégie de déploiement international du groupe.

Autre moyen de doper l’activité audiovisuelle de Vivendi, le déploiement de son service de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) doit s’accélérer : baptisé « Watch », ce projet concurrent de Netflix en Europe du Sud va être lancé « en fin d’année », annonce M. Bolloré. Les territoires visés sont l’Allemagne mais aussi l’Italie et l’Espagne, ainsi que l’Amérique du Sud. Pour distribuer la plate-forme, Vivendi compte négocier des accords avec des opérateurs télécommunications, en premier ceux dont il possède une part du capital, comme Telecom Italia (24,7 %) et Telefonica (0,95 %). Le groupe « discute » aussi aux Pays-Bas avec Vimpelcom, ajoute M. Bolloré. Et bien sûr en France, où il est déjà implanté dans la vidéo par abonnement avec CanalPlay :

« Orange et Free [fondé par Xavier Niel, actionnaire du Monde à titre personnel] sont des partenaires naturels, car SFR est déjà un groupe intégré et Bouygues Telecom est en cours d’intégration », constate l’industriel.

Synergies

Cette « intégration » est la clé de voûte de la stratégie du « nouveau Vivendi » : M. Bolloré la met en avant quand on se montre sceptique sur les vertus de la « convergence » entre contenus et tuyaux. Ces derniers vont des smartphones à la télévision hertzienne, en passant par les plates-formes Web. Pour nouer des accords de distribution, est-il toutefois nécessaire de s’offrir de coûteuses participations au capital d’opérateurs de télécommunications ? Dans ce domaine, la direction de Vivendi répond ne pas avoir de dogme.

Quant aux contenus, Vivendi veut multiplier les synergies entre musique, films et séries, jeux vidéos et émissions de flux. Là encore, le groupe balaie les critiques qui y voient des activités sans grand rapport.

« Il commence à y avoir des exemples de synergies, dit Maxime Saada, le directeur général de Canal+. Nous avons remporté les appels d’offres sur le Festival de Cannes et le Top 14 grâce à l’ensemble des métiers de Vivendi : la diffusion sur Dailymotion pour Cannes, les talents d’Universal pour le Top 14. Pour la finale du championnat de France de rugby, nous allons par exemple organiser un concert avec Bob Sinclar, afin de remplir les 90 000 places du stade du Camp Nou à Barcelone. »

Quinze ans après l’échec de Jean-Marie Messier chez Vivendi, Vincent Bolloré a-t-il trouvé la clé pour réussir la convergence ? L’industriel martèle en tout cas qu’il « a un plan ».