A court sketch made on May 30, 2016 shows suspected jihadists, facing charges of criminal association with a view to commit acts of terrorism, during their trial in Paris courthouse. A total of seven suspects, so-called the "Strasbourg jihadists', travelled to Syria at the end of 2013 and returned to France a few months later. Arrested in May 2014, they all deny having fought as jihadists while there. Among the defendants was Karim Mohamed-Aggad, the brother of Foued Mohamed-Aggad who took part in the November 13 Paris attacks that killed 130 people. / AFP / BENOIT PEYRUCQ | BENOIT PEYRUCQ / AFP

« On va quand même lire ce qu’il y a entre MDR et LOL. » La présidente de la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris n’en démord pas, mardi 31 mai. Elle veut des explications sur l’échange qui a eu lieu sur Facebook entre deux des sept prévenus jugés dans le procès de la filière djihadiste de Strasbourg.

Les acronymes y encadrent une phrase bien loin du rire : « Le prochain tir ce sera sur des vraies cibles, en mouvement. » Elle date de janvier 2013, soit près d’un an avant le départ de la bande de copains en Syrie.

Juste un trait d’humour, pour son auteur, Karim Mohamed-Aggad. De l’ironie, confirme Radouane Taher, qui a répondu sur le même ton. La défense vient briser le malaise qui s’est installé dans la salle. Evidemment, lus dans la solennité d’un tribunal, ces mots peuvent choquer, mais il faut y ajouter des dizaines de smileys.

« Un jour j’avais envie, un jour non »

La danse des deux amis reprend autour du micro qu’ils partagent dans le box. Tour à tour, ils répondent, détendus, à la salve de questions sur la vie qu’il menait en cette année 2013.

« J’ai l’impression qu’on tourne un peu autour du pot », finit par s’agacer Karim Mohamed-Aggad. Lui reconnaît être parti pour combattre le régime de Bachar Al-Assad, alors pourquoi tergiverser sur « des détails ». La présidente sait que ce sont justement ces détails qui constituent le délit d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme, pour lequel ils encourent jusqu’à dix ans de prison. Alors elle questionne leurs intentions.

Rien de prémédité dans ce voyage, assure le prévenu. Tout s’est organisé précipitamment. D’ailleurs, lui-même a hésité jusqu’au dernier moment. « Un jour j’avais envie, un jour non. » La présidente, elle, voit autre chose dans le dossier que « 10 copains partis du jour au lendemain pour un voyage politico-humanitaire ». Elle s’intéresse au cheminement qui a mené à leur décision. Et là intervient Mourad Fares. Considéré comme l’un des principaux recruteurs de djihadistes français, il s’est rendu à la DGSI en août 2014. Un an après avoir pris le chemin de la Syrie.

Des mains de l’ASL à celles de l’EI

Quand les Alsaciens ont-ils rencontré le Savoyard ? Quelle influence a-t-il eu sur leur départ ? Comment les a-t-il aidés à le rejoindre ? La petite bande raconte sa version de l’histoire. Une prise de contact via Facebook ; trois rencontres à La Courneuve, Strasbourg puis Lyon ; shopping et tournée des bars, déjeuner au snack et sortie à la mosquée. En revanche, jamais aucun des sept n’a entendu Mourad Fares prononcer un mot sur le djihad ou un quelconque départ en Syrie avant qu’il n’y soit.

Ce qui ne les empêche pas de lui donner un rôle clé dans leur décision, lui qui les a « sensibilisés » au conflit syrien, lui et ses vidéos de propagande. « Quelqu’un d’éloquent » qui les mettra en contact avec un passeur à la frontière turco-syrienne.

A leur grande surprise, il ne sera finalement pas là pour les accueillir en Syrie. Et les choses commenceront à mal tourner. Rapidement, ils passent des mains de l’Armée syrienne libre à celles de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), ancêtre de l’EI. « C’est le tournant », pour Ali Hattay. Deux d’entre eux seront tués deux semaines plus tard.

« Je défie quiconque dans celle salle de dire “laissez-moi tranquille je veux rentrer à Strasbourg” dans cette situation. »

Tous le répètent : rien ne s’est passé comme prévu. Mais qu’est-ce qui était prévu ? Rejoindre Mourad Fares. « C’est quand même le grand absent de ce procès », s’étonne Me Françoise Cotta. Ou plutôt l’autre absent, avec Foued Mohamed-Aggad, le frère de son client. Parti avec la même filière, il n’a fait demi-tour que pour se faire exploser au Bataclan près de deux ans plus tard.

Reste que le parquet n’a pas fait citer Mourad Fares comme témoin. « Pas nécessaire » pour le procureur. Près de quatre heures d’audience auront pourtant tourné autour de lui, alors le tribunal s’interroge. Une extraction de prison est-elle envisageable en termes de sécurité ? Me Xavier Nogueras propose une alternative : la vidéo. « Après tout, il est habitué des réseaux sociaux. »