Après l’Assemblée nationale, à la fin d’avril, le Sénat français a adopté à son tour, mercredi 8 juin, une résolution symbolique « invitant » le gouvernement français à lever les sanctions imposées par l’Union européenne à la Russie dans le cadre du conflit ukrainien. Ce texte a obtenu une majorité écrasante des votes de la Haute Assemblée : 301 pour, 16 contre. Dix-sept élus se sont abstenus, principalement dans les rangs des Verts.

Après l’offensive éclair menée par Thierry Mariani à l’Assemblée, qui avait obtenu un vote favorable dans un hémicycle déserté et à la surprise générale, la séance au Sénat avait été minutieusement préparée tant par les partisans du texte que par ses opposants. Deux sénateurs menaient la bataille : le socialiste Simon Sutour et le centriste (UDI) Yves Pozzo di Borgo, compagnon des voyages organisés par M. Mariani en Crimée.

« La France peut être à la fois le garant de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, sur la base des accords de Minsk, et la promotrice d’une relation avec la Russie que je qualifierais de normale », a lancé M. Pozzo di Borgo à la tribune avant le vote, insistant également sur « la crise porcine ». Le thème du coût pour l’agriculture française de l’embargo décidé par Moscou en réponse aux sanctions est particulièrement sensible, tant pour les élus de l’Assemblée que pour ceux du Sénat.

Une résolution sans caractère contraignant

« Les relations avec la Russie sont trop stratégiques pour être retenues indéfiniment en otage du débat sur les sanctions. Elles méritent mieux et doivent pouvoir se projeter au-delà, sur la lutte contre le terrorisme ou la situation au Proche-Orient », a de son côté plaidé M. Sutour.

Cette résolution, qui n’a aucun caractère contraignant, est nettement plus mesurée que la version très imprécise et ostensiblement prorusse de l’Assemblée. C’est ce qui explique qu’elle ait pu rallier aussi largement les suffrages du groupe socialiste, minoritaire au Sénat. Si elle demande une levée « sans délai » des sanctions visant des parlementaires russes, elle conditionne la levée des mesures plus lourdes concernant l’économie à des progrès dans l’application des accords de paix signés à Minsk le 12 février 2015.

C’est plus ce que s’apprête à demander l’Union européenne à la fin de juin, au moment de reconduire les sanctions, mais l’esprit reste proche des positions officielles défendues par Paris ou par Bruxelles. Selon des sources concordantes, c’est l’intervention du ministère des affaires étrangères, très gêné par la multiplication des messages susceptibles d’affaiblir la position française dans les négociations avec Moscou, qui a permis l’obtention d’une formule de compromis. Mercredi, plusieurs intervenants ont pointé le caractère « excessif » ou « imprudent » de la version votée à l’Assemblée.

Résultat des tractations, l’énoncé du texte est souvent alambiqué. Il évoque l’annexion de la Crimée en termes très mesurés, comme le résultat d’un « référendum considéré comme dépourvu de validité par les Nations unies » ; aucune mention de la participation russe à des combats dans l’est du pays, mais le regret affiché d’une « situation qui a conduit à un conflit entre l’armée ukrainienne et des forces se déclarant prorusses ».

« On est dans l’hypocrisie complète »

« Au moins le texte de Thierry Mariani avait le mérite de la franchise, déplore le sénateur Jean-Yves Leconte, vice-président du groupe d’amitié France-Russie et seul élu socialiste à avoir voté contre. Là, on est dans l’hypocrisie complète, et pour quelle valeur ajoutée ? Le seul résultat est que les sénateurs qui ont voté la résolution pourront se dédouaner auprès des agriculteurs de leur circonscription. Et que les médias russes pourront clamer que le Sénat français est contre les sanctions. »

Même critique chez son homologue Hervé Maurey, président du groupe d’amitié France-Ukraine, qui a déposé en vain une motion de rejet de ce texte « contre-productif » et qui laisse penser aux autorités russes qu’« elles peuvent à moindre coût annexer ou déstabiliser durablement des régions entières du territoire européen ». « Ce n’est pas parce que l’Assemblée a fait n’importe quoi que le Sénat doit faire un peu moins n’importe quoi », a commenté M. Maurey après le vote, faisant état de fortes pressions du « lobby agricole » sur certains élus.

Le sénateur Jean-Yves Leconte déplore aussi la faible mobilisation de l’exécutif, qui n’a pas cherché à obtenir une quelconque discipline de vote du groupe socialiste. Pour M. Maurey, il y a même eu un « accord officieux du gouvernement », à l’heure où Paris voudrait, selon lui, « être plus flexible face aux Russes ».