Une manifestation en hommage aux victimes de la tuerie d’Orlando, le 13 juin 2016. | DAVID MCNEW / AFP

George Chauncey est professeur d’histoire à l’université Yale (Etats-Unis). Spécialiste de l’histoire de la société américaine et plus particulièrement de la communauté gay et lesbienne, auteur notamment de Gay New York, 1890-1940 (Fayard, 2003), il a joué un rôle-clé dans le mouvement pour les droits des homosexuels aux Etats-Unis. Il analyse les conséquences de la tuerie d’Orlando pour la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres).

Comment expliquer que certains dirigeants politiques semblent se concentrer davantage sur la personnalité du tueur Omar Mateen et ses liens avec l’organisation Etat islamique (EI) ?

Le président Barack Obama et Hillary Clinton ont bien reconnu et souligné le fait que les victimes étaient quasiment toutes LGBT. Mais, à l’inverse, les gays ont le sentiment que beaucoup d’hommes politiques, surtout républicains, ainsi que certains médias, n’ont pas assez insisté sur le fait que le Pulse est une boîte gay.

A mon avis, les politiques ont essayé de réagir à cet événement tragique de la manière qui sert le mieux leur programme électoral. Par exemple, le candidat républicain, Donald Trump, utilise cette tuerie pour renforcer sa rhétorique antimusulmans. Et d’autres dirigeants républicains, ouvertement opposés aux droits des LGBT depuis des années, vont se servir de ce massacre pour légitimer leurs positions antigays.

Quel pourrait être l’impact de cette fusillade sur la campagne électorale ?

Malheureusement, je pense qu’il va y avoir un débat sur la signification de cette tuerie de masse. Certains y verront un signe de la dangerosité de la rhétorique antigays qui continue à être véhiculée par des conservateurs et certains leaders religieux qui font campagne contre les droits de la communauté LGBT. Mais d’autres vont tenter de détourner l’attention du caractère homophobe du massacre pour recentrer le débat sur l’islam. Or, et il est très important de le dire, la majorité des homosexuels ne considèrent pas l’islam ou l’immigration comme responsables de cette tuerie. Pour eux, elle est le résultat du sentiment antigays qui continue à exister partout aux Etats-Unis. Pour autant, je ne pense pas que la tuerie d’Orlando aura un impact sur la campagne électorale et le vote de la communauté LGBT à la prochaine présidentielle. Depuis les années 1980, les personnes homosexuelles et transgenres sont très largement démocrates et cela ne va pas évoluer, étant donné que le parti républicain continue à soutenir des politiques antigays.

Quelle est l’histoire de la boîte Pulse, présentée comme un symbole de la cause LGBT à Orlando ?

C’est l’un des clubs gays les plus populaires d’Orlando. Les boîtes de nuit jouent encore un rôle important pour de nombreux LGBT qui ne se sentent pas assez en sécurité pour affirmer ouvertement leur orientation sexuelle dans les lieux publics. Cette boîte, le Pulse, était l’un de ces endroits dans lesquels ces personnes peuvent passer de bons moments et s’amuser sans peur.

Quel est actuellement le climat au sein de la communauté LGBT aux Etats-Unis ?

La communauté LGBT est très partagée. D’un côté, il y a eu beaucoup de progrès dans la conquête des droits. L’opinion publique est de plus en plus tolérante envers les gays et le soutien populaire pour l’égalité des droits, notamment le droit de se marier, se renforce aussi. Mais, d’un autre côté, la campagne contre les droits des transgenres s’est aussi intensifiée. Il y a eu de très violentes attaques, notamment au moment de la « bataille des toilettes » : les transgenres ont été diabolisés. Par exemple, on a insinué que cela leur servirait à agresser des jeunes gens… Cela s’inscrit dans une longue histoire de diabolisation de la communauté LGBT par les antigays.

Par ailleurs, au nom de la liberté, des hommes politiques républicains continuent de défendre publiquement le droit à discriminer les homosexuels. A mon avis, l’impact de cette tuerie sur la communauté LGBT va se faire sentir dans la vie quotidienne, par exemple certains gays continueront à avoir peur de tenir la main de leur partenaire dans la rue ou de montrer de l’affection en public…