Pour la première fois depuis dix ans, le taux de mortalité a augmenté aux Etats-Unis. Le nombre de décès est passé de 723,2 pour 100 000 habitants en 2014 à 729,5 l’an dernier, selon les statistiques provisoires publiées, mercredi 1er juin, par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), une agence gouvernementale chargée de la protection de la santé publique.

La hausse du taux de mortalité est un phénomène qui a été rarement observé sur les vingt-cinq dernières années. Un tel rebond des décès s’était produit en 2005 en raison d’une forte épidémie de grippe et en 1993, une fois encore à cause de la grippe à laquelle s’est ajoutée une importante mortalité liée au sida. Cette fois, les causes sont beaucoup plus diversifiées. Les statisticiens citent pêle-mêle les armes à feu, les overdoses liées à la drogue, les suicides, la maladie d’Alzheimer, les accidents vasculaires cérébraux et l’hypertension. En revanche, le taux de décès dus au cancer est en recul.

Ces nouvelles statistiques viennent corroborer les résultats d’une étude publiée en novembre 2015, qui montrait que le taux de mortalité de la population blanche américaine la moins éduquée, âgée de 45 à 54 ans, avait augmenté de façon inédite au cours de la dernière décennie. Deux économistes de Princeton (New Jersey), Angus Deaton, qui a reçu en 2015 le « prix Nobel d’économie », et Anne Case avaient mis en lumière qu’une augmentation des suicides et des pathologies liées à la drogue et à l’alcool avait contribué à cette hausse. En revanche, au sein de la population hispanique et noire, le taux de mortalité a continué à baisser au cours des dix dernières années.

Mortalité et insécurité économique

Parmi les explications avancées par les deux chercheurs, le facteur économique tient une place centrale : le fameux « rêve américain » serait de plus en plus difficile à réaliser pour cette population blanche peu éduquée. D’abord, ils constatent que les revenus des ménages où le chef de famille n’a pas poursuivi d’études au-delà du lycée ont chuté de 19 % entre 1999 et 2013. « Bien que l’épidémie de suicides, d’overdoses ait commencé avant la crise financière, il est possible d’établir un lien avec l’insécurité économique », avancent les auteurs. « Après le ralentissement de la productivité dans les années 1970, et avec le creusement des inégalités de revenus, beaucoup de gens au sein de la génération du baby-boom ont été les premiers à constater que, vers la quarantaine, leur vie n’allait pas être meilleure que celle de leurs parents », ajoutent-ils.

De son côté, le CDC note que, ces dernières années, une bonne partie de la baisse de la mortalité trouvait son origine dans le recul des maladies cardio-vasculaires, l’une des principales causes de décès aux Etats-Unis. Or pour la première fois depuis longtemps, le taux de mortalité dans cette catégorie a stagné en 2015.

Dans le même temps, le taux d’overdoses est passé en un an de 14 pour 100 000 au début de 2014 à 15,2 l’an dernier. La tendance est identique pour les suicides (12,7 contre 13,1) ou la maladie d’Alzheimer (25,4 contre 29,2). Même si les statistiques ne prennent pas encore en compte le dernier trimestre de 2015, qui n’est pas encore disponible, ces chiffres montrent une franche inversion de tendance, qui est qualifiée par les spécialistes d’« inhabituelle ». Alors que le taux de mortalité aux Etats-Unis a été divisé par deux depuis 1950, il faudra toutefois attendre les données de 2016 pour savoir s’il s’agit juste d’un accident de parcours ou d’un phénomène plus profond.