Le chef Stéphane Jego avec son homologue réfugié syrien, Mohamed El Khady, le 10 juin, quelques jours avant le « Refugee food festival ». | PATRICK KOVARIK / AFP

Fariza Isakova et Emad Shoshara sont des réfugiés. Elle est Tchétchène, lui est Syrien. Mais ils sont avant tout chefs-cuisiniers. Comme sept autres, ils participent à la première édition du « Refugee Food Festival » à Paris.

Chacun investit la cuisine d’un restaurant, du vendredi 17 au mardi 21 juin, afin de montrer qu’ils ne sont pas seulement des étrangers accueillis en France. Ils sont des hommes et des femmes, qui ont un talent : la gastronomie. Le temps d’un ou deux soirs, on leur a proposé de changer la carte pour faire découvrir les spécialités de leur pays.

Le Refugee Food Festival est organisé dans le cadre de la Journée mondiale des réfugiés, lundi 20 juin. Marine Mandrila et Louis Martin, passionnés de voyage et du bien-manger, en sont les initiateurs. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) et les Cuistots migrateurs, un service de traiteur qui n’emploie que des réfugiés, en sont les partenaires. Ils ont aidé à trouver les restaurateurs qui accepteraient de laisser leur toque le temps d’une soirée, à dénicher des chefs qui ne demandaient qu’à faire découvrir la cuisine de leur pays, et à financer les courses.

Tout commence quand le couple décide d’entamer, il y a trois ans, un tour du monde du repas chez l’habitant. « A table ou en cuisine, tout le monde est sur un pied d’égalité », s’enthousiasme Marine Mandrila. Avec Louis Martin, ils souhaitaient organiser quelque chose en France. « Nous voulons que lorsqu’on dit’’réfugié’’, les gens arrêtent de voir les embarcations de fortune en Méditerranée », explique-t-elle.

Indiens, Sri-lankais, Iranien, Syriens, et Tchétchènes. Certains étaient cuisiniers dans leur pays. D’autres le sont devenus lors de leur périple jusqu’en France : c’est le cas d’Emad Shoshara et Fariza Isakova. La Tchétchène prend sa revanche lors du festival. Elle cuisine pour deux restaurants : lundi au Inaro, un bar à vins dans le quartier de République où elle a carte blanche, et mardi au restaurant Indonesia, rue de Vaugirard, dans le 6e arrondissement.

Fière de représenter cette cuisine paysanne et copieuse

Dimanche après-midi, dans une cuisine du Kremlin-Bicêtre, elle prépare également une partie du buffet pour la soirée que la mairie de Paris organise pour la Journée mondiale des réfugiés. En haut d’un escabeau à trois marches, elle verse une marmite de choux, carotte, aneth et oignons. En sueur, la Tchétchène, trapue et vigoureuse, est fière de représenter cette cuisine paysanne et copieuse.

« Du bœuf, de la pâte… on mange toutes sortes de plats fourrés, comme des chaussons », souligne Fariza Isakova. Pour lundi au Inaro, ce sera plutôt une salade Granatovoe kolco, à base de betteraves et de grenade, des brochettes de bœuf Lyulya, et des crêpes Myarz Chepalg, fourrées aux fruits.

falafels, houmous et taboulé pour samedi soir

C’est en Tchétchénie qu’elle apprend à cuisiner, aux côtés de sa mère qui tient un restaurant. Elle a onze ans. Les petites filles n’ont plus le droit d’aller à l’école : c’est la guerre. A 18 ans, elle part avec son mari en Pologne, où elle reste six ans. Elle arrive en France en 2011. Elle fait aujourd’hui partie des Cuistots migrateurs, et le chef d’Inaro lui a déjà proposé de venir régulièrement cuisiner ses plats Tchétchènes.

En Syrie, la cuisine est plus légère. Emad Shoshara, l’un des Syriens participants, a proposé falafels, houmous, salade de fèves et taboulé samedi soir. Il a investi les fourneaux de La Mano, un resto-club aux ambiances mexicaines, dans un coin animé du 9e arrondissement, rue Papillon.

Arrivé en France en bateau

Il fait très chaud dans la cuisine pour les premières préparations, vendredi, et une douce odeur embaume les narines. Emad Shoshara n’était pourtant pas cuisinier en Syrie. Il travaillait à Palmyre, pour Shell, avant de se lancer dans le tourisme. En 2011, la guerre a éclaté, et son entreprise a fermé. Il est alors retourné à Damas, sa ville d’origine.

Deux ans plus tard, il reçoit « un petit papier qui [lui] dit d’aller [se] battre ». Il est temps pour lui de quitter la Syrie. Direction le Liban, à Beyrouth. « Trop dangereux, le Hezbollah soutient le régime de mon pays », explique-t-il avec une sérénité, tout en touillant les légumes plongés dans l’huile bouillante pour son Baba Ghanoush, un caviar d’aubergines à la crème de sésame. Il part ensuite en Egypte, où la révolution commence. Et vient alors jusqu’en France en bateau.

La gérante de La Mano, Marion Bonneau, décroche encore une fois son téléphone. « Encore une demande de réservation pour samedi, dit-elle, mais nous sommes déjà complets ! » Emad Shoshara sourit. La Syrie, c’est derrière lui. Sauf pour la gastronomie. D’ici quelques mois, il ouvrira son Food truck [un camion de restauration rapide] dans la capitale, avec uniquement des plats « du pays ».