En marge de l’assemblée générale des actionnaires d’Exxon, à Dallas, le 25 mai. | Jae S. Lee / AP

Malgré une pression grandissante, les assemblées générales des actionnaires d’Exxon Mobil et de Chevron ont réussi, mercredi 25 mai, à repousser une série de résolutions qui appelaient les deux groupes pétroliers à mieux tenir compte du réchauffement climatique. Plusieurs groupes d’investisseurs, soutenus par les associations en faveur de l’environnement, réclamaient notamment qu’Exxon et Chevron évaluent de façon précise les conséquences que peuvent avoir les politiques publiques en faveur de l’environnement sur l’activité des deux entreprises. Même si ces motions ont obtenu de bien meilleurs scores que les années précédentes, elles sont restées minoritaires.

À l’origine de cette fronde, le sentiment notamment que les pétroliers n’anticipent pas suffisamment l’impact de la mise en œuvre de l’accord de la COP21 signé à Paris en décembre 2015. Certains actionnaires pointent ainsi l’écart entre par exemple les projections d’Exxon sur la demande mondiale de pétrole et celles de l’Agence Internationale de l’énergie (AIE). Tandis que le premier table sur une poursuite de la croissance de la consommation à 109 millions de barils par jour d’ici 2040, la seconde anticipe au contraire une chute de 22 % à 74 millions de barils.

« Dans le contexte du changement climatique mondial, nous croyons que le capital des actionnaires est menacé par des investissements dans des projets qui peuvent mener à des impasses sur le plan économique », fait valoir Arjuna Capital, un fonds du Massachusetts. « C’est impossible pour Exxon de faire du business pour les 100 prochaines années comme ils l’ont fait pour les 100 précédentes », s’est inquiété, peu avant l’AG, Scott Stringer, le contrôleur financier de New York, qui représente le fonds de pension des retraités de la ville, « les investisseurs ne peuvent pas supporter qu’Exxon devienne le prochain Kodak [le géant de la photo qui a disparu faute de n’avoir pas su négocier le passage au numérique] », a-t-il expliqué au New York Times.

« Manque de leadership moral »

Le conseil d’administration d’Exxon, qui avait appelé à voter contre la résolution, considère que les « stress test » qu’il mène d’ores et déjà sur ses opportunités d’investissement sont suffisants pour anticiper les changements à la fois sur les plans technologique et réglementaire. Le PDG, Rex Tillerson, a ainsi rappelé que sa stratégie consiste à trouver un équilibre entre le fait de produire plus d’énergie pour accompagner l’augmentation de la demande et les préoccupations environnementales. « Nous devons parvenir à des percées technologiques », a convenu M.Tillerson, mais, en attendant, « dire simplement que nous allons fermer les robinets n’est pas acceptable pour l’humanité », a-t-il conclu sous les applaudissements des actionnaires.

La motion, qui était pourtant soutenue par plusieurs gros investisseurs comme le fonds de pension de Californie (Calpers), le fonds souverain de Norvège, celui de l’Église d’Angleterre, BNP Paribas ou encore AXA, n’a recueilli qu’un peu plus de 38 % des voix. Chez Chevron, les actionnaires ont voté à 41 % pour.

La résolution qui demandait à Exxon de s’aligner sur l’objectif de la COP21, à savoir limiter le réchauffement climatique à 2 degrés au-dessus des niveaux de l’ère préindustrielle, a été également repoussée. « En s’opposant à cette résolution, notre entreprise a choisi de ne pas tenir compte ni du consensus qui existe au sein de la communauté scientifique, ni de la volonté des 195 nations qui ont signé l’accord de Paris », a déploré Patricia Daley, une sœur dominicaine du New Jersey à l’origine de la résolution, reprochant à Exxon son « manque de leadership moral ».

Contraste avec les Européens

Sans surprise, la motion réclamant l’arrêt de la fracturation hydraulique pour l’extraction du pétrole et du gaz de schiste n’a pas, non plus, réussi à mobiliser une majorité d’actionnaires. Cette opposition générale et résolue d’Exxon et de Chevron tranche avec la situation chez leurs homologues européens comme BP, Royal Dutch Shell ou Statoil, qui ont commencé à adopter des mesures tenant compte du changement climatique.

D’ailleurs, le scepticisme par rapport à une exploration pétrolière tous azimuts commence à gagner certains analystes financiers. « Les compagnies pétrolières doivent de plus en plus prendre en compte un certain nombre de scénarios qui ne réclament pas une augmentation systématique de l’exploration », estime Martijn Rats de Morgan Stanley. « Même si le prix du pétrole remonte, le rebond des dépenses d’exploration peut rester relativement modeste. Les modèles économiques uniquement basés sur l’exploration peuvent rencontrer des difficultés dans les années qui viennent », prévient-il.

Seule avancée chez Exxon, l’adoption d’une résolution permettant aux actionnaires minoritaires de nommer un administrateur indépendant, ce qui pourrait ouvrir la voie à l’accession d’un défenseur de l’environnement au sein de cette instance. « Si cette compagnie veut affronter correctement les risques fondamentaux de long terme tels que le changement climatique, son conseil d’administration doit être divers, indépendant et responsable », a rappelé M. Stringer. Une mesure similaire avait été adoptée il y a un an chez Chevron.

Procédure juridique en cours

En attendant, la pression des défenseurs de l’environnement sur Exxon n’est pas prête de faiblir. Le pétrolier doit en effet composer désormais avec un front judiciaire. Les ministres de la justice de plusieurs États, dont New York et la Californie, ont en effet lancé une enquête afin de vérifier si la compagnie pétrolière, par le lobbying qu’elle a pu exercer ces dernières années, n’a pas, d’une part, cherché à masquer les conclusions des scientifiques sur le changement climatique, et, d’autre part, manqué à ses obligations en n’alertant pas ses actionnaires sur les risques pesant sur les activités de l’entreprise et sa capacité à continuer d’utiliser des énergies fossiles.

Cette procédure fait suite à deux enquêtes, l’une du site InsideClimate, l’autre du Los Angeles Times, qui affirment que des chercheurs d’ExxonMobil, à la fin des années 1970 et 1980, avaient averti les dirigeants de l’entreprise de la menace que faisait peser le changement climatique sur les activités de la compagnie. Mais celle-ci avait ensuite coupé les budgets de recherche dans ce sens pour au contraire fonder sa communication sur les doutes qui entourent la responsabilité humaine dans l’accélération du phénomène.