Benidorm, dans la Communauté valencienne, sur la Costa del Sol. | JOSE JORDAN / AFP

Ils pratiquent le cricket, le badminton ou le bridge entre compatriotes, ont créé des associations d’anciens « bobbies » ou d’ex-officiers de la Royal Navy, se retrouvent entre sympathisants du Labour Party ou fans de Gilbert et Sullivan, achètent leur jelly et leur thé dans des magasins spécialisés.

Plus de 300 000 Britanniques ont officiellement installé leur résidence principale en Espagne. Mais depuis quelques mois, cette communauté venue profiter des trois cent vingt jours de soleil par an qu’offrent la Costa del Sol en Andalousie ou la Costa Blanca à Valence oscille entre vague inquiétude et peur ouverte au fil de la progression du « leave » (« sortie ») dans la campagne pour ou contre le maintien du Royaume-Uni dans l’UE.

« Que je sache, aucun Britannique installé ici ne soutient le Brexit. Ce serait complètement incohérent », résume Graham Hunt, agent immobilier de 49 ans originaire de Liverpool et installé en Espagne depuis vingt-cinq ans. Avec une trentaine d’autres Anglais, il joue dans le Levante Cricket Club, l’un des trois clubs de cricket de Valence, et s’entraîne tous les jeudis sur le terrain de base-ball situé au bord du fleuve Turia avant de rejoindre l’Irish Pub et de parler… « Brexit ».

« J’ai peur que la livre ne dégringole. Plus de 60 % de ma clientèle est britannique, et certains ne trouveraient plus les prix espagnols aussi attractifs », explique Graham. Un de ses clients lui a déjà dit qu’il repoussait son achat le temps de connaître le résultat du vote. Une poignée d’autres l’ont appelé pour savoir comment transférer leur siège en Espagne afin de maintenir leur accès au marché européen.

« Des opportunistes et des égoïstes »

« Pour moi, les partisans du Brexit sont des opportunistes et des égoïstes. A Liverpool, on sait bien ce que l’Europe a fait pour améliorer les conditions de vie dans la ville », ajoute-t-il, d’autant plus remonté qu’il ne pourra pas voter, comme tous les Britanniques qui vivent depuis plus de quinze ans à l’étranger : « C’est injuste. Le siège de ma société est à Londres et je paie une partie de mes impôts là-bas ! »

Pete West, 60 ans, retraité de l’enseignement installé à Valence depuis dix ans, ira voter sans hésiter pour le « remain » (« maintien ») jeudi 23 juin. « Si le Brexit l’emporte, j’aurai des difficultés pour continuer à vivre ici, craint cet entraîneur de cricket. Si la livre chute, ma pension vaudra moins. Et je ne suis pas sûr de conserver les droits d’accès à la santé publique espagnole : le médecin est gratuit, les médicaments ne coûtent presque rien. »

« Nous ne savons rien, renchérit Tim Lucas, ancien broker à la City de Londres venu monter une « affaire » à Valence il y a tout juste deux mois et déjà batteur dans le club de cricket local. Les uns jouent sur la peur de l’inconnu, les autres sont incapables d’expliquer les conséquences du “Brexit” puisqu’elles dépendront des négociations postérieures. »

« Abandonné » par Londres

Barry Eaton, agent immobilier qui joue au poste de gardien de guichet, s’est, lui, senti « abandonné » par Londres, aucun politique n’ayant daigné s’adresser à l’importante communauté britannique installée dans le sud de l’Europe. « J’essaie de chercher des informations sur les accords qui nous lient à l’Union européenne et sur l’impact de leur rupture, mais je ne comprends pas. Nous n’avons pas été formés pour prendre de telles décisions. C’est au Parlement d’étudier les textes et de défendre nos intérêts. Je ne veux pas choisir », affirme ce père de deux fillettes nées en Espagne.

« Moi non plus je ne veux pas décider, c’est une décision monumentale, confirme Sarah, l’épouse de Tim, artiste indépendante. Nous avions un Parlement que l’on respectait, mais aujourd’hui, le débat est si mauvais. » « Si j’étais resté à Londres, j’aurais voté pour quitter l’Europe, avoue Tim. Ce que [le premier ministre David] Cameron a obtenu de Bruxelles est insuffisant. Et ce que l’Europe a fait à la Grèce, la détruire au lieu de lui donner une chance de repartir de zéro, m’a dégoûté, commente-t-il. Mais je voterai pour un triste “remain”, parce qu’on vit en Espagne et qu’on y a acheté une maison. »

« L’autre jour, j’ai retrouvé mon vieux passeport avec mon premier visa pour l’Espagne, limité à trois mois. Je ne veux pas d’un tel retour en arrière, conclut Graham. Si le Brexit l’emporte, je demanderai peut-être la nationalité espagnole. »