A Garma, jeudi 26 mai, première ville des environs de Fallouja reprise à l’Etat islamique, notamment par la Ligue des vertueux, une milice chiite de la Mobilisation populaire irakienne. | LAURENT VAN DER STOCKT POUR LE MONDE

Dans un rapport publié jeudi 9 juin, Human Rights Watch (HRW) dénonce des exactions envers les civils commises dans les villages des alentours de Fallouja, que les milices chiites irakiennes contrôlent depuis le 23 mai. L’organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme appelle le gouvernement irakien à mener une enquête sur ces forces paramilitaires, qui sont placées nominalement sous son autorité. Dans le même temps, HRW, se basant sur les témoignages de civils, s’inquiète de représailles menées par l’organisation djihadiste Etat islamique (EI). Cette dernière exécuterait des habitants tentant de fuir la zone encore sous son joug.

En ce qui concerne les milices chiites, HRW fait état de détentions arbitraires, de disparitions, de cas de torture et d’exécutions sommaires, en citant notamment, de façon anonyme, des responsables politiques et tribaux de la province d’Al-Anbar et de municipalités ayant été en contact avec des témoins de ces exactions.

Des miliciens et des policiers fédéraux sont ainsi accusés d’avoir fait prisonniers, lors de la prise de la localité de Sajar, au nord-est de Fallouja, un groupe de civils qui fuyaient la ville, principalement des membres de la tribu Joumaïla, et d’avoir exécuté au moins 17 hommes après les avoir séparés des femmes.

Soixante-dix jeunes hommes portés disparus à Garma

Dans le bourg de Saqlawiya, dans le nord-ouest, des milices, notamment des membres des groupes Badr et Kataeb Hezbollah (« phalanges du hezbollah » ; groupe armé islamiste chiite), sont accusées d’avoir détenu plus de 1 500 personnes. Une moitié d’entre eux, libérée le 5 juin, étaient traités à l’hôpital d’Amriyat Al-Fallouja, selon un membre du gouvernorat d’Al-Anbar. Cet établissement est proche de camps de tentes où sont rassemblés une large part des plus de 20 000 civils ayant fui la périphérie de Fallouja, depuis le début des combats.

Parmi ces hommes, pour beaucoup des membres de la tribu Al-Mahamda, arrêtés dans le quartier de Chohada, à Saqlawiya, des témoignages rapportés à HRW font état de marques de torture et de mauvais traitements.

A Garma, banlieue est de Fallouja, tombée dès les premiers jours, principalement sous l’assaut de la Ligue des vertueux, une autre milice, un chef tribal originaire de la ville affirme, cité par HRW, qu’au moins 70 jeunes hommes sont portés disparus. Ce chiffre est confirmé par un membre du conseil du gouvernorat de l’Anbar, qui précise que le gouvernement a ouvert une enquête pour retrouver ces hommes.

Les Nations unies s’étaient alarmées, le 2 mai, de telles accusations, encore vagues. Alors que le règne de l’EI dans la province d’Al-Anbar arrive à son terme, de tels abus menacent d’aliéner une population exclusivement sunnite à ses libérateurs chiites. Les habitants de Fallouja et de la province s’opposent depuis dix ans au gouvernement de Bagdad, mis en place après l’invasion américaine et dominé par les partis chiites. Le premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, qui s’exprime régulièrement depuis le 23 mai dans les zones libérées par les milices, l’armée et les forces de sécurité gouvernementales, a promis cette semaine d’enquêter sur des abus présumés et de poursuivre leurs auteurs.

Les milices chiites défient la coalition internationale

Les milices chiites irakiennes sont rassemblées, depuis l’été 2014, au sein de la Mobilisation populaire (MP). Elles avaient été appelées à prendre les armes par l’ayatollah Ali Al-Sistani, principale autorité du chiisme, alors que l’armée s’était écroulée face à l’avancée de l’EI, qui menaçait de fondre sur Bagdad après s’être emparé de larges pans des territoires irakien et syrien. La Mobilisation populaire, placée sous l’autorité du premier ministre, a intégré des groupes armés préexistants, formés après l’invasion américaine de 2003 et dans la guerre civile qui l’a suivie, et qui sont entraînés et financés par l’Iran.

A Fallouja, le 29 mai. Mohandes, le principal chef de la Mobilisation populaire, en réunion avec des cheikhs des tribus de Fallouja. | LAURENT VAN DER STOCKT

Depuis, ces groupes assurent une large part des combats contre l’EI, de façon largement autonome vis-à-vis des chaînes de commandement de l’armée et des forces de sécurité. Ils critiquent et défient régulièrement la coalition internationale contre l’EI menée par les Etats-Unis, tout en opérant sur les mêmes terrains, parfois à quelques centaines de mètres d’écart. Ce sont les chefs des milices chiites qui ont voulu la bataille de Fallouja, il y a un an, quand le gouvernement privilégiait la prise de Ramadi, autre ville de l’Anbar, conquise en décembre 2015. Les Etats-Unis privilégient, eux, un assaut sur Mossoul, la « capitale » de l’EI dans le nord du pays.

Les milices ont joué le premier rôle dans la prise des villages et des bourgs des alentours de Fallouja. Elles ont combattu aux côtés de la police fédérale, qui dépend du ministère de l’intérieur, lequel est dirigé par Mohammed Al-Ghabban, membre du parti Badr, affilié à la milice du même nom. Elles sont censées laisser le contrôle des villes conquises à la police et à l’armée, et ne sont pas autorisées à détenir ni à interroger les habitants et les combattants. Dans les faits, elles y demeurent présentes.

Par ailleurs, elles se sont engagées à laisser la prise du centre-ville, où seraient retenus plus de 50 000 civils, selon l’Organisation des Nations unies, aux forces antiterroristes irakiennes, assistées de l’armée, de la police régionale de l’Anbar et de forces tribales sunnites. Cependant les chefs militaires des milices menacent désormais presque quotidiennement de rejoindre le combat, s’il tardait à s’achever. Par deux fois depuis le 23 mai, le grand ayatollah Ali Al-Sistani a exhorté les combattants à épargner les civils et à éviter tout abus.

Face à l’Etat islamique en Irak, sur la ligne de front aux abords de Fallouja