Des soldats nigériens patrouillent entre Bosso et Diffa. Bosso a subi l’attaque de Boko Haram le 3 juin provoquant la mort de 26 soldats et la fuite de milliers de personnes. | ISSOUF SANOGO / AFP

Le raid éclair, massif et meurtrier mené vendredi 3 juin par Boko Haram sur la localité de Bosso, au sud-est du Niger, porte bien l’empreinte de Bana Blachera, le nouveau chef de la secte islamiste nigériane.

De nationalité camerounaise, Blachera n’a pas l’épaisseur idéologique et religieuse de Mohamed Yusuf, le charismatique fondateur de Boko Haram. Il n’a pas non plus « la grande gueule » de son prédécesseur Abubakar Shekau, adepte des shows télévisés et de déclarations fracassantes.

Blachera, c’est plutôt un homme de l’ombre, plus à l’aise dans les opérations de terrain que dans les prêches religieux enflammés ou les joutes oratoires.

Avant de monter en grade, Bana Blachera s’est surtout illustré comme un redoutable logisticien, chargé notamment de l’organisation des filières d’approvisionnement du mouvement extrémiste en armes et en carburant.

Après avoir assis son leadership sur Boko Haram, profitant de l’effacement de Shekau, miné depuis plusieurs mois par la maladie, Blachera a doté son mouvement d’une puissance de feu qui semble avoir fait la différence, vendredi, à Bosso face à l’armée nigérienne.

En effet, outre le nombre important de combattants engagé dans la bataille, la secte islamiste avait aligné à Bosso des moyens militaires dignes d’une armée nationale, obligeant les militaires nigériens à battre en retraite pour se réorganiser.

Nouvel agenda

Selon Bakary Sambe, spécialiste des mouvements radicaux en Afrique de l’Ouest, Boko Haram dispose désormais d’une nouvelle filière d’approvisionnement en armes à partir du Soudan. Il pourrait, ajoute-t-il, s’agir d’armes libyennes éparpillées dans toute la sous-région après la chute de Mouammar Kadhafi en 2011.

Selon une source gouvernementale libyenne, 20 millions d’armes ont été sorties des stocks constitués pendant les quarante et une années de pouvoir de l’ancien « Guide » libyen.

Bana Blachera, qui déteste, à la différence de Shekau, l’exposition aux caméras et aux flashes, fait partie de 2 000 à 3 000 ressortissants camerounais ayant rejoint Boko Haram depuis sa création en 2002 à Maiduguri, capitale de l’Etat du Borno.

Il est l’un des dirigeants de la secte qui s’est le plus investi dans la décision de faire allégeance en mars 2015 à l’organisation Etat islamique pour devenir Province ouest-africaine de l’Etat islamique. On prête au nouveau chef du mouvement djihadiste l’intention d’assurer sa progression en Afrique centrale, notamment en Centrafrique puis en Ouganda.

Des visées sur l’Afrique centrale

Pour la nouvelle direction de Boko Haram, la Centrafrique, où l’Etat central a été affaibli par la guerre entre anti-balaka et Seleka, représente une cible idéale tant en matière de recrutement que pour servir de base de repli. La secte islamiste compte également sur la montée en puissance trop lente de la Force mixte multinationale (FMM) pour s’implanter dans de nouveaux territoires.

Sur les 8 700 militaires et policiers de la FMM annoncés par le Cameroun, le Niger, le Nigeria, le Tchad et le Bénin, seulement 1 500 sont effectivement opérationnels.

Si l’état-major de la force a effectivement été installé à N’Djamena (tout comme celui de la force française « Barkhane »), les éléments de la FMM sont cantonnés, pour l’heure, dans leurs pays respectifs : les Camerounais au Cameroun, les Nigériens sur la partie nigérienne du lac Tchad, les Tchadiens sur la partie tchadienne, les Nigérians sur la partie nigériane. La seule grande avancée reste le droit automatique de poursuite qui permet désormais aux armées nationales de traverser les frontières sans accord préalable. Mais il n’est pas du tout sûr que cela suffise à en finir avec Boko Haram.

L’attaque massive de Bosso, qui a tué au moins trente-deux militaires, laisse même à penser que la secte a entamé une seconde vie avec l’arrivée de Bana Blachera à sa tête.

Seidik Abba, journaliste et écrivain, auteur de Niger : la junte militaire et ses dix affaires secrètes (2010-2011), (éd. L’Harmattan, 2013).