Le gouvernement veut lancer un partenariat public-privé dans 120 écoles primaires à la rentrée de septembre, pour un coût de 65 millions de dollars (environ 58 millions d’euros), soit environ trois quarts du budget de l’éducation.

Si l’essai s’avère concluant, cette association avec une dizaine d’entreprises spécialisées dans l’éducation, dont la chaîne Bridge International Academies, présente notamment au Kenya, en Ouganda et au Nigeria, sera étendue à tout le primaire. Le gouvernement récuse le terme de « privatisation », soulignant qu’il continuera à payer les salaires et à assurer l’entretien des établissements.

Cours dispensés sur une tablette numérique

Les carences du système sont criantes : plus de deux tiers des enfants en âge scolaire ne vont pas en classe, selon l’ONU, et le pays ne comptait en 2013 que 15 000 instituteurs pour 675 000 élèves âgés de 6 à 11 ans, soit 1 pour 45, selon des statistiques officielles.

Inquiets pour leur emploi et leurs conditions de travail, les syndicats d’enseignants ont dénoncé une « privatisation » rampante et menacé de faire grève.

Car la méthode de Bridge International repose sur des cours magistraux dispensés avec l’aide d’une tablette numérique à des classes d’une cinquantaine ou d’une soixantaine d’élèves, avec beaucoup d’apprentissages par cœur.

La tablette permet de s’assurer que le programme est suivi, mais aussi de mieux contrôler l’absentéisme et les résultats des élèves.

Un modèle peu adapté au Liberia, « où seulement 2 % de la population a accès à l’électricité », selon Mary Mulbah, présidente en exercice du Syndicat national des enseignants du Liberia (NTAL). « A qui bon apporter un iPad à des enfants qui s’éclairent à la bougie ? ».

« Cette décision du gouvernement va nuire encore davantage à nos enfants et à leurs parents », assure-t-elle. Beaucoup d’écoles sont inaccessibles par la route, et des manuels promis n’arrivent jamais, selon le syndicat.

Manque de moyens

Mais Shannon May, la cofondatrice américaine de Bridge International, se fait fort de donner tort aux détracteurs du projet, citant en exemple les communautés défavorisées qui ont adopté sa méthode dans d’autres pays africains. « Donnez-nous un an. Il y a bien peu de gens qui relèveraient ce défi. Mais nous croyons au Liberia », affirme-t-elle à l’AFP. « Nous sommes prêts à prendre le risque de dire : Nous allons rendre vos professeurs exceptionnels. »

Pour des spécialistes de l’éducation, comme Jonah Nyenpan, membre d’un groupe d’ONG libériennes actives dans ce secteur, le gouvernement préfère se défausser sur le secteur privé plutôt que de traiter en profondeur « le véritable problème, qui est le manque de volonté de financer correctement les écoles ».

En mars, le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’éducation, Kishore Singh, avait reproché au gouvernement de « sous-traiter à une compagnie privée » son école primaire « à une échelle sans précédent, en violation des obligations légales et morales du Liberia »« Au lieu de soutenir des entreprises d’éducation, les gouvernements devraient augmenter leurs dépenses dans les services éducatifs publics pour les améliorer », avait-il estimé.

« Prudemment optimiste »

Mais d’autres experts jugent l’enseignement public à ce point déliquescent qu’une alternative privée efficace, même limitée, semble une option souhaitable. L’économiste Justin Sandefur, du Center for Global Development, à Washington, qui a étudié le modèle de Bridge International et d’autres initiatives similaires dans des pays africains, se dit « prudemment optimiste sur la possibilité de parvenir à des progrès significatifs d’ici un an ».

« Cela ne peut que s’améliorer », estime ce fervent partisan du libéralisme, regrettant que la réforme ne comporte pas de modification du statut des enseignants, que les entreprises privées ne pourront ni embaucher ni licencier, ceux qui ne donnent pas satisfaction étant susceptibles d’être mutés.

M. Sandefur espère néanmoins que l’introduction d’une approche entrepreneuriale permettra de sanctionner les professeurs ou établissements défaillants. Le représentant de l’Unicef pour le Liberia, Sheldon Yett, considère qu’« il n’y a rien d’intrinsèquement mauvais à travailler avec le secteur privé », mais juge « absolument essentiel que le gouvernement supervise le processus ». Lui aussi reconnaît les manquements du corps enseignant, insuffisamment formé, et au fort taux d’absentéisme : « Les enfants n’apprennent pas comme ils le devraient et trop peu vont à l’école ».