Match du Sud-Coréen Lee Sedol, numéro 3 mondial du jeu de go, opposé à l’intelligence artificielle AlphaGo, le programme de Deep Mind. | Ahn Young-joon / AP

Par Julien Hobeika, cofondateur et président de la société Wepopp

L’intelligence artificielle (IA) va-t-elle supprimer des emplois et détruire le modèle sociétal dans lequel nous vivons ? Cette question revient de plus en plus souvent ces derniers temps.

Le fait que l’intelligence artificielle puisse un jour devenir plus intelligente que les humains – comme le suggèrent certains – n’est en fait pas le vrai problème. D’ailleurs qu’entend-on par intelligence ? La définition même fait débat.

La problématique majeure vient du fait que dans nos sociétés, où les services représentent la part essentielle du produit intérieur brut (PIB), les individus se sont longtemps rassuré en se disant que les machines n’étaient pas capables de faire comme eux.

Certes, elles ont remplacé des travailleurs dans les usines, mais cela ne concernait qu’une seule classe de travailleurs, la classe ouvrière. Aujourd’hui, on voit des machines battre des humains aux échecs ou au jeu de go. Les machines deviennent de plus en plus « intelligentes » et tout le monde se sent concerné et craint pour son emploi. Sentiment exacerbé avec des rapports comme celui publié par le World Economic Forum, qui pronostique une suppression de plus de 5 millions de postes avec la « quatrième révolution industrielle », une révolution qui inclut bien entendu l’intelligence artificielle. Que penser de tout cela ?

Aider l’humain à faire des choix plus efficaces

L’intelligence artificielle ne remplacera pas l’humain dans les métiers où des décisions capitales doivent être prises. Dans nos sociétés, nous acceptons l’erreur lorsqu’elle est humaine mais pas quand elle est commise par une machine. Nous l’avons d’ailleurs constaté avec Julie Desk [service d’assistante virtuelle à IA développé par la société Wepopp] : les clients sont en fait plus exigeants avec Julie qui est basée sur de l’intelligence artificielle qu’avec de vrais assistants ! Simplement parce que nous savons que l’humain a des défauts et que nous sommes habitués à les pardonner, ou au moins à les accepter.

En revanche lorsqu’il s’agit d’une machine, nous ne tolérons aucune erreur. Pour pousser un peu la réflexion, que diriez-vous si un système d’intelligence artificielle conduisait au crash d’un avion ou renversait un enfant en voiture ?

Pour faire simple, les intelligences artificielles, contrairement aux machines utilisées dans les usines, sont conçues grâce à des statistiques. Ce qui signifie que l’on ne peut pas attendre de l’intelligence artificielle une perfection absolue… Des erreurs peuvent être commises, même par les plus intelligents des systèmes d’intelligence artificielle.

L’intelligence artificielle va simplement aider l’humain à faire des choix plus efficaces et plus précis. Reprenons l’exemple de Julie Desk : nous continuons de superviser l’intelligence artificielle grâce à des humains. Nous prenons le meilleur des deux mondes, mais l’humain a toujours le dernier mot avant, par exemple, d’envoyer le courriel. En réalité, comparé à un assistant « standard » en chair et en os, l’humain « assisté » n’a pas eu à faire grand-chose dans ce processus : on peut même aller jusqu’à dire qu’un nouveau type de poste a été créé : celui de superviseur/entraîneur d’intelligence artificielle.

Depuis plusieurs décennies, l’intelligence artificielle est présente dans l’aéronautique grâce au pilotage automatique. L’intelligence artificielle aide les pilotes à améliorer leur façon de travailler tandis qu’eux-mêmes s’assurent que l’intelligence artificielle fait son travail correctement. Mais au final, les pilotes et les copilotes restent les vrais décisionnaires de l’avion. Nous ne serions pas prêts à accepter qu’une intelligence artificielle fasse s’écraser un avion alors que le pilote a quitté le cockpit ; c’est bel et bien le pilote que serait blâmé pour en être sorti.

Comment intégrer une « innovation disruptive » ?

L’intelligence artificielle est une technologie disruptive qui crée un marché : « Les entreprises établies sont obnubilées par leur clientèle et ignorent les marchés émergents d’acheteurs », explique Clayton Christensen dans son livre The Innovator’s Dilemma (HarperBusiness, 2011). L’intelligence artificielle fait en réalité quelque chose que personne ne faisait avant.

Par exemple, Julie Desk offre un service à ceux qui n’ont pas d’assistant. Ceux qui en ont déjà un emploient Julie pour prendre en charge le temps passé sur les tâches liées à l’organisation et la gestion de l’agenda, permettant à leur vrai assistant de mettre d’autres compétences au service de l’entreprise, développer le business et même dans certains cas obtenir une promotion. La quatrième révolution, avec ses innovations disruptives, doit être préparée.

Or, selon des rapports tels que celui du World Economic Forum, ce n’est pas le cas. En effet, on voit actuellement passer beaucoup plus d’articles et de déclarations alarmant sur les dangers de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies que de réflexions sur comment embrasser cette révolution et en tirer profit !

Cependant, il faut rester prudent : si l’intelligence artificielle ne détruit pas nécessairement des postes, elle peut influer sur l’« ère de la fin de l’humain » ; les informations fournies par des systèmes d’intelligence artificielle ne sont pas explicites pour tous les cerveaux humains. Dans le cas d’un système d’assistance commerciale, le trader n’est pas obligé de comprendre pourquoi l’algorithme montre un signal d’achat ou de vente, il se contentera de suivre les consignes et de prendre une décision en fonction. Nous devons donc nous assurer que nous gardons le contrôle sur l’intelligence artificielle afin de maîtriser sur ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons !

L’individu plus autonome et rapide

L’intelligence artificielle devrait être utilisée pour assister les humains dans ce qu’ils entreprennent, mais sans être vue comme un système totalement autonome (les seuls systèmes autonomes que l’on connaît aujourd’hui sont en fait plus automatisés que l’intelligence artificielle, comme les trains sans conducteurs, par exemple).

Si l’intelligence artificielle devait devenir autonome, ne se retrouverait-on pas à devoir considérer l’intelligence artificielle comme une nouvelle « race » avec laquelle nous devrions vivre et la juger comme notre égale ? C’est un débat qui prend une dimension bien plus large que de savoir si suppressions ou créations de poste il y aura.

De la même façon qu’une prothèse permet de réparer l’homme, de la même façon que l’on envisage l’homme augmenté par la technologie et que l’on peut imaginer faire remarcher des infirmes, il faut considérer l’intelligence artificielle, comme une façon d’augmenter l’individu et de le rendre plus autonome et plus rapide.

Il faut envisager l’intelligence artificielle comme une révolution généreuse et positive dans l’évolution de l’individu.