Alors que François Hollande devait ouvrir, mardi 14 juin, les Rencontres internationales des autorités anticorruption, organisées en coopération avec la Banque mondiale et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Assemblée nationale s’apprêtait à voter, dans l’après-midi, le projet de loi Sapin 2 de lutte contre la corruption. Un timing parfait pour permettre à la France de redorer son blason dans ce domaine.

Le projet de loi présenté par le ministre des finances, Michel Sapin, et amendé en commission comporte de sérieuses et réelles avancées, avec la création d’une agence française anticorruption, la mise en place d’un registre unique des représentants d’intérêts ou la protection des lanceurs d’alerte (Le Monde du 7 juin).

Un sujet aura malgré tout donné lieu à de vifs débats : la question du reporting public pays par pays, soit l’obligation faite aux multinationales réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros de publier des informations détaillées sur les impôts dont elles s’acquittent dans les pays où elles exercent leurs activités. Une transparence destinée à lutter contre l’évasion fiscale.

Le débat avait déjà eu lieu lors de l’examen du projet de loi de finances, en décembre 2015. Le gouvernement s’était alors opposé à l’adoption d’une disposition similaire, arguant des risques constitutionnels auxquels elle s’exposait. Tout en se disant favorable au principe, M. Sapin plaidait pour que ce dispositif fût adopté dans un cadre européen. La Commission européenne s’est depuis saisie du sujet et une directive devrait être soumise avant la fin de l’année au Parlement européen.

L’affaire des « Panama papers » a cependant ravivé l’impatience des députés de gauche de voir adopter sans tarder le principe d’une publication d’informations en France. Il est donc revenu sous la forme d’un amendement de Sandrine Mazetier (PS, Paris), cosigné par les trois rapporteurs du texte. Celui-ci prévoit certes que la mesure ne s’appliquera qu’à partir du moment où la directive européenne entrera en vigueur, ou au plus tard en janvier 2018, mais il va plus loin que la directive en préparation.

Celle-ci prévoit une obligation de publication limitée aux pays de l’Union européenne et aux paradis fiscaux, dont une liste doit être établie. L’amendement Mazetier l’étend à un « périmètre monde », dès lors que l’entreprise dispose dans un pays de plusieurs filiales. Il prévoit en outre d’abaisser progressivement le seuil de chiffre d’affaires à 500 millions, puis à 250 millions d’euros.

Quelques députés du PS et écologistes, défendant l’idée que « nous devons montrer la voie à l’Europe », ont tenté, en vain, de durcir le texte, jugeant le compromis proposé « absolument pas satisfaisant », selon Yann Galut (PS, Cher). La droite, elle, s’est insurgée contre ce qu’elle qualifie de « suicide économique » : « Pourquoi ne pas tenir compte de la compétitivité de nos entreprises ? », a plaidé Laure de la Raudière (LR, Eure-et-Loir). Tandis que le gouvernement s’exerçait à une délicate synthèse. « L’efficacité dans ce domaine, c’est de ne pas être seuls, a rappelé M. Sapin. Si un seul pays lutte contre la fraude internationale, elle continue au détriment de ce pays. »

« Concours Lépine des contraintes pour nos entreprises »

L’adoption de l’amendement Mazetier devrait permettre de rassembler la majeure partie de la gauche au moment du vote. Les députés communistes, cependant, s’orientent vers l’abstention. Pour leur président, André Chassaigne, si le texte comporte « certaines avancées », il reste « insuffisant ». Pour lui, en matière de lutte contre l’évasion fiscale, « la directive européenne est une raquette à trous ».

A droite, en revanche, les députés LR devraient voter contre. « Ce texte qui démarrait sur de bonnes intentions est à l’arrivée un concours Lépine des contraintes pour nos entreprises, notamment sur le reporting public, déplore Christian Jacob, le président du groupe. La réalité, c’est qu’il fallait faire un geste politique en direction des frondeurs sans aucun souci des réalités économiques. » Les députés UDI devraient quant à eux s’abstenir, regrettant, selon leur président, Philippe Vigier, que, « sur les mesures anticorruption, on n’est encore qu’au quart du chemin ».