Des internautes ont posé leurs questions sur la mobilisation contre le projet de loi de réforme du code du travail et ses conséquences, lors d’un chat sur Le Monde. fr, mercredi 25 mai, à Michel Noblecourt, journaliste politique au Monde, spécialiste des organisations syndicales. Voici la retranscription de cet échange.

Est-ce qu’une grève générale est envisageable ?

Michel Noblecourt : La grève générale est une vieille idée qui remonte aux origines du syndicalisme, à la fin du XIXe siècle. Il n’y en a jamais eu en France. Ni en 1936 ni en 1968 les syndicats n’ont appelé à la grève générale. Et Philippe Martinez juge qu’elle ne se décrète pas en appuyant sur un bouton.

Connaissez-vous des exemples de grève générale/blocages de cette ampleur en France qui n’ont pas été suivis du retrait de la loi visée ?

Les précédents grands mouvements sociaux, en dehors de 1968, ont eu lieu en 1995, en 2006 et en 2010. En 1995, il s’agissait de combattre le plan Juppé sur la Sécurité sociale qui prévoyait d’aligner le régime de retraite des fonctionnaires sur celui des salariés du privé. Il y a eu une mobilisation puissante et trois semaines de grève à la SNCF. Alain Juppé a reculé sur les retraites mais il a maintenu le reste de son plan sur la Sécurité sociale.

En 2006, de fortes manifestations des syndicats d’étudiants et de salariés contre le contrat première embauche (CPE) ont abouti à une situation baroque : Jacques Chirac a promulgué la loi en indiquant qu’elle ne serait pas appliquée…

En 2010, une très forte mobilisation, dans l’unité de tous les syndicats, contre la réforme des retraites n’a pas fait reculer Nicolas Sarkozy.

Est-ce qu’après avoir obtenu le service après-vente de la CFDT et refusé toute discussion avec la CGT, l’Elysée ne cherche pas à diviser ainsi les syndicats en recherchant à satisfaire FO (tout en en consolant le Medef par une macronerie) ?

L’Elysée tente à l’évidence de faire sortir FO de la fronde contre la loi El Khomri. Des discussions sont en cours, mais la marge est très étroite notamment sur l’article 2 de la loi qui privilégie l’accord d’entreprise et consacre pour FO une inversion inacceptable de la hiérarchie des normes. L’Elysée ne veut pas trop s’avancer avec FO si un éventuel compromis lui fait perdre le soutien de la CFDT. Quant à la CGT, elle n’a eu aucun contact avec l’Elysée depuis deux mois.

Quelles sont les revendications exactes des différents grévistes, par branches ? J’ai cru comprendre que certains manifestaient contre la loi travail, mais d’autres manifestent ou vont manifester pour des revalorisations salariales ?

La plupart des grèves lancées par la CGT portent sur le retrait de la loi travail, mais parfois d’autres revendications propres à l’entreprise se greffent sur le mouvement. A la SNCF, qui n’est pas directement concernée par la loi travail puisque les cheminots ont leur propre statut, la grève concerne d’abord les conditions de travail dans le cadre de la négociation engagée sur la convention collective des métiers du rail.

Une loi qui « ne servira à rien ». Est-ce que l’on sait ce que veut dire M. Gattaz par ces termes ? Car si le Medef considère que cette loi ne sert à rien, la situation devient assez « comique ».

Le Medef considère que de concessions en concessions à la CFDT la loi a été vidée de sa substance et donc qu’elle ne sert plus à rien. Pour autant, il ne veut pas que le gouvernement retire la loi, notamment parce que la priorité accordée aux accords d’entreprise lui convient.

La centrale nucléaires de Nogent-sur-Seine, dans l’Aube. | CHARLES PLATIAU / REUTERS

J’imagine que les grèves dans les centrales EDF pourraient avoir des conséquences énormes. Y a-t-il des précédents en France de grèves avec des coupures d’électricité importantes ? Les agents EDF ont-ils des restrictions sur le droit de grève au vu des conséquences que cela pourrait avoir ? Ou est-ce qu’ils sont immédiatement réquisitionnés en cas de grève pour éviter des coupures électriques majeures ?

Il faudra d’abord voir comment la grève est suivie par les agents d’EDF avant d’imaginer d’« énormes conséquences ». Les précédentes grèves avec coupure de courant remontent à 1986 et 1995, mais elles sont toujours brèves car immédiatement très impopulaires. Le droit de grève dans les entreprises publiques est réglementé par une loi ad hoc. La continuité des services publics doit être assurée et le dépôt d’un préavis de grève est obligatoire. Mais il n’est pas question de réquisitions.

Y a-t-il déjà eu des condamnations pénales ou civiles pour ceux qui font des blocages de routes ou qui, sous couvert du droit de grève, empêchent ceux qui ne sont pas en grève d’accéder à leur poste de travail. Le droit de grève justifie-t-il vraiment tout en France ?

A ma connaissance, il n’y a pas eu de condamnations. Le droit de grève dans le secteur privé n’est réglementé que par un seul article du code du travail, mais il y a une abondante jurisprudence de la Cour de cassation sur le sujet. Le droit de grève est un droit constitutionnel mais il y a déjà eu des condamnations sur l’abus de piquets de grève empêchant les salariés désirant travailler de le faire.

Si l’article 2 de la loi venait à être modifié ou réécrit, en quoi cela influencerait-il la stratégie de la CGT, qui de toute façon veut le retrait total du texte sans préalable ?

Cela n’aurait en effet aucune conséquence pour la CGT car elle rejette globalement la loi, mais elle se trouverait un peu plus isolée.

Peut-on connaître le pourcentage d’employés syndiqués en France et leur répartition par type de profession ?

Le taux de syndicalisation est estimé à 8 %, dont 5 % dans le secteur privé. Mais une récente étude du ministère du travail a revu ce chiffre à la hausse et évoque un taux de 11 %.

Pouvez-vous nous éclairer en quoi la CGT est-elle minoritaire, comme vient de le dire le premier ministre à l’instant ?

Selon ses propres chiffres publiés lors de son dernier congrès, en avril, à Marseille, la CGT syndique 2,86 % des salariés.

Y a-t-il, au fond, une différence de politique syndicale entre la CFDT et la CGT, concernant notamment les accords en entreprises, qui expliquerait aussi leur opposition vis-à-vis de cet article 2 ? En gros, la CFDT gagne-t-elle à cette « inversion » ?

A la CGT il y a un gros décalage entre les pratiques des syndicats dans les entreprises et le discours confédéral. Dans les entreprises, la CGT signe 85 % des accords, un taux de signature comparable à celui de la CFDT. Mais cette dernière a une plus forte implantation que la CGT.

A force de bloquer une partie de l’économie, les syndicats ne prennent-ils pas le risque de voir le peuple se retourner contre eux plutôt que contre le gouvernement ?

S’il y a de fortes coupures de courant, qu’une grève forte s’engage à la SNCF et que la pénurie d’essence gagne tout le pays, il est clair que ces grèves seront très impopulaires. Déjà les dernières enquêtes d’opinion font état d’une baisse du soutien à ces mouvements.

La CGT est au cœur de l’action syndicale contre la loi travail. Quid des autres syndicats ? Merci pour votre réponse.

Sept organisations sont engagées : la CGT, FO, la FSU, Solidaires, l’Unef et deux syndicats lycéens (UNL et FIDL). Mais elles le sont à des degrés divers. La FSU est dans la solidarité, car les fonctionnaires ne sont pas concernés par la loi El Khomri. L’Unef continue de participer aux manifestations, mais depuis qu’elle a obtenu des engagements du gouvernement sur la garantie jeunes on ne l’entend plus. Et il n’y a pas de blocage dans les lycées ou les universités.

Historiquement, la CGT a toujours construit son action et sa stratégie sur les rapports de force ; on a l’impression qu’elle joue sa survie cette fois-ci si elle n’arrive pas à imposer son point de vue au gouvernement. En est-elle consciente ou compte-t-elle secrètement sur des forces de gauche (frondeurs, etc.) pour aller loin dans son action ?

La CGT joue son va-tout. Depuis la succession ratée de Bernard Thibault en 2013, elle est toujours en crise. Elle est affaiblie dans ses bastions historiques et lors de la prochaine mesure de représentativité syndicale, en mars 2017, il y a de forts risques qu’elle se retrouve derrière la CFDT. Si sa stratégie jusqu’au-boutiste échoue, cela peut accélérer son affaiblissement, mais Philippe Martinez aura quand même gagné ses galons de combattant.

Bonjour, est-ce qu’au final cette lutte contre la loi travail menée par la CGT n’est tout simplement pas une peur de ce syndicat de ne plus avoir autant de pouvoir dans l’avenir ? Est-ce que les syndicats se battent pour leur survie politique plutôt que pour leurs convictions ?

Les syndicats ont en effet des inquiétudes sur leur avenir, c’est antérieur à la loi El Khomri. Ils craignent notamment une remise en cause des corps intermédiaires que l’on retrouve dans les programmes de plusieurs candidats à la primaire de la droite. La petite musique « les syndicats ne servent à rien » se refait entendre.

Pensez-vous que la CGT ambitionne de refaire ce qu’elle a fait en 1968 (c’est-à-dire obtenir de réelles avancées sur le droit du travail, par la lutte) ? Pour rappel, en 1968, la CGT a obtenu la revalorisation du Smic de 30 % ?

Nous ne sommes pas en mai 1968, loin de là. Et sur la revalorisation du Smic, ce n’est pas aussi simple que vous le dites. La CGT avait été doublée par FO qui avait négocié directement avec le patronat et le gouvernement.

Pouvez-vous expliquer la position de la CFDT vis-à-vis du projet de loi ? Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas d’alliance intersyndicale, ou même de tension interne au sein de la CFDT.

La CFDT a été la première – c’était une interview de Laurent Berger au Monde – à rejeter la première version de la loi El Khomri. Ensuite elle a négocié avec le gouvernement et elle a obtenu des aménagements qui lui ont donné satisfaction sur les principaux points qui lui posaient problème. Avant que la CGT se radicalise, elle avait signé une déclaration commune avec la CFDT et d’autres syndicats pour refuser le plafonnement des indemnités prud’homales.

Le gouvernement peut-il interdire les grèves si celles-ci menacent l’équilibre économique du pays ? Comme c’est un peu le cas en ce moment.

Non. On est encore dans un Etat de droit et le gouvernement ne peut évidemment pas interdire des grèves – le droit de grève est un droit constitutionnel – même dans une situation d’état d’urgence comme aujourd’hui… Sauf si elles prenaient un caractère insurrectionnel et mettaient en danger la République. Mais on n’en est pas tout à fait là.