Grenoble, ville ouverte pour les réfugiés et demandeurs d’asile. | Laurent Espitallier / CC BY 2.0

Ils s’appellent Hala, Sama, Nourna, Anna, Maher ou Najem. Venus de Beyrouth, d’Alep, de Damas ou d’Irak, certains ne parlaient pas du tout la langue française lors de leur arrivée. Aujourd’hui, ces étudiants font partie des quatorze premiers admis dans le nouveau cursus délivrant un diplôme universitaire (DU) de langue et civilisation française de l’université Grenoble-Alpes, qui leur permettra de reprendre leurs études – en informatique, communication, littérature anglaise, microbiologie… – là où ils les ont interrompues. Après les avoir commencées en arabe ou en anglais, ils les poursuivront ainsi en français et en anglais. Et ils préparent déjà leurs dossiers d’entrée en master…

Chacun de ces étudiants a son histoire singulière. Certains sont arrivés en risquant leur vie sur des bateaux de fortune, d’autres ont été pris en charge par le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR), beaucoup sont venus avec une partie de leur famille. Les démarches et les attentes ont été longues, les routes parfois compliquées. À Grenoble, leur logement est assuré par des familles d’accueil, ou par leurs propres moyens. Aucun ne souhaite s’attarder sur les difficultés rencontrées, ou les blessures personnelles. Comme cette étudiante qui rend hommage à l’accueil qu’elle a reçu, qui lui a permis « de retrouver des amis, et parfois une famille. Ici, les gens connaissent très bien la situation en Syrie et ils sont très gentils avec nous ».

Pour les quatorze étudiants, l’entrée en DU est surtout vécue comme un premier achèvement, l’accès à un petit îlot de stabilité, une promesse d’avenir : « Ma devise, c’est Fais de ta vie un rêve et de ce rêve une réalité. Je suis une personne très ambitieuse », déclare, dans un grand sourire, Anna, qui se prépare à rejoindre à la rentrée prochaine un master d’entrepreneuriat. En plus des cours de langue, les étudiants recevront un enseignement de méthodologie de recherche, et multiplieront des visites dans la région, en partenariat avec l’Office du tourisme. Des binômes de conversation doivent aussi être organisés avec les étudiants de l’université.

« Nous sommes une porte d’entrée »

L’université de Grenoble-Alpes s’est mobilisée pour porter le projet. 60 à 70 % du coût total de la formation (60 000 euros) devraient être financés par des dons recueillis par la Fondation de l’université et via un appel au crowdfunding qui a permis de recueillir 6 000 euros en une semaine. L’université assumera le reste sur ses ressources propres. Depuis la rentrée 2015 déjà, les premiers cours de langue française sont offerts au Centre universitaire d’études françaises (CUEF), rattaché à l’université Grenoble Alpes. Plus ancien centre de langue en France, le CUEF fête ses 120 ans en 2016. Il assume aussi sur son budget les stages intensifs offerts chaque mois à une dizaine d’étudiants, soit un effort de 8 000 euros par mois : « Nous sommes une porte d’entrée et nous avons toujours accueilli gracieusement des réfugiés politiques et des migrants », explique Mélina Heringer, responsable administrative du CUEF.

« Nous enseignons le français à des adultes, majoritairement à des étudiants, mais ce peut être aussi d’autres membres de leur famille, envoyés par les associations ou l’université : Syriens, Angolais ou Irakiens, surtout de formation scientifique avec une motivation, une capacité d’adaptation et une force de travail incroyables », explique Mme Héringer. L’apprentissage de la langue française est la clef qui ouvre la porte des études. « Oui, quand on ne peut pas s’exprimer, communiquer et comprendre, c’est vraiment très dur », se rappelle ainsi Maher, admis désormais en DU.

Mais ce seul mois de stage de français n’est pas suffisant pour permettre d’envisager une reprise d’études. Avec 20 heures de cours par semaine, beaucoup de travail à la maison, et des étudiants très motivés, les meilleurs peuvent arriver au niveau A2 en deux ou trois stages qu’ils ne peuvent pas réaliser d’un seul tenant faute de place. Ils doivent laisser leur place avant de revenir une fois ou deux : « Chaque mois nous sommes obligés de refuser des élèves, c’est terrible pour eux et pour nous », expliquent Mélina Héringer et Laura Abou Haidar, la directrice du CUEF. Comme ceux de l’université Grenoble-Alpes, les responsables du CUEF espèrent que l’aide évoquée par le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur Thierry Mandon lors de la matinée de travail sur l’accueil des étudiants réfugiés et demandeurs d’asile, mardi 10 mai à Paris, pourra enfin se concrétiser, afin de pouvoir élargir son accueil.