A Mogadiscio, après l’explosion d’une voiture piégée par le groupe islamiste terroriste Chabab, le 26 février 2016, qui a tué 14 personnes. | MOHAMED ABDIWAHAB/AFP

La Somalie est plus que jamais fragmentée à trois mois des élections présidentielle et législatives, initialement prévues pour août, mais dont la date officielle n’est pas encore fixée. Le gouvernement central de Mogadiscio n’a ni les moyens ni la légitimité pour reprendre le contrôle de son territoire, laissant des pans entiers sous la menace du groupe islamiste Chabab, affilié à Al-Qaida. Dans ce contexte, le projet de fédéralisation de la Somalie, débuté en 2012 et censé redécouper le pays en six Etats membres, pourrait entériner le statu quo de cette géographie chaotique.

Solidement implantés au sud

La majeure partie des milices chabab, bien qu’affaiblies par les récentes offensives des drones américains, est retranchée au sud de la Somalie, dans la région du Jubaland. Le groupe terroriste y encercle la ville portuaire de Kismayo, reprise en 2012 par les forces de l’Amisom, la mission des Nations unies sur place, et perturbe l’accès à la frontière kenyane.

Au nord de cette région, l’influence des milices se heurte aux contingents éthiopiens répartis le long de la frontière autour de la ville de Dolo Bay, mais l’implantation des Chabab dans les zones rurales autour de la base militaire de Baïdoa leur assure le contrôle des routes qui mènent à Mogadiscio. Même en sous-nombre, les terroristes parviennent ainsi à perturber le ravitaillement des villes libérées, où l’armée somalienne est incapable de prendre le relais de l’Amisom et de tenir les garnisons.

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Malgré d’importantes pertes humaines au cours des derniers mois, à commencer par celle de Hassan Ali Dhoore, l’un des chefs de l’organisation tué dans un raid américain, l’état des forces des Chabab reste incertain. Et la communication du gouvernement sur le sujet n’aide pas. Désireux de solliciter plus d’aides internationales, Mogadiscio parle de « résurgence » de l’organisation terroriste, quand les annonces successives de frappes de drones et d’offensives réussies de l’Amisom indiquent l’inverse. « Les Chabab agissent comme une organisation de guérilla classique. Ils sont en difficulté tant en termes d’effectifs que de moyens, ils n’ont plus la même force de frappe qu’il y a deux ans, donc ils se retirent, pour se recontruire, dans ces zones où l’armée n’a pas accès. Ce n’est qu’une trêve », tranche E. J. Hogendoorn, directeur des missions de l’International Crisis Group en l’Afrique de l’Est.

Si les Chabab réussissent à perdurer dans cette partie du sud de la Somalie, c’est grâce à leur capacité de jouer sur l’impression d’isolement des clans. « Le traitement de faveur, analyse E. J. Hogendoorn, accordé par le gouvernement central de Mogadiscio au clan des Hawiyés, dont le président Hassan Cheik Mohamoud est issu, a généré beaucoup de tensions dans les autres régions du sud, proches de la capitale, où les clans ont eu l’impression d’être marginalisés. Les Chabab exploitent ce sentiment et confrontent les différentes ethnies pour s’imposer. »

Sécuriser l’argent de Mogadiscio

Mais la conciliation des multiples minorités somaliennes n’est pas la priorité du gouvernement. Occupé à sa propre réélection, le président Cheikh Mohamoud tente de sécuriser Mogadiscio, canal d’accès aux aides internationales. Outil de légitimation pour le pouvoir, ce soutien financier de la communauté internationale est également la raison du discrédit du gouvernement vis-à-vis du reste du pays.

Avec le projet de fédéralisation, Mogadiscio pourrait indirectement renoncer à une partie de son territoire exposé à la menace des Chabab, à commencer par l’Interim Jubaland Administration, au sud du pays, où l’Amisom n’a pas les moyens de combattre les terroristes. « Le centre et le sud, du Galmudug jusqu’à la pointe du pays, fait un tiers de la France. Penser que l’on peut gérer une telle superficie avec 22 000 hommes serait incroyablement naïf », critique E. J. Hogendoorn.

Le Puntland, au nord-est du pays, autoproclamé autonome depuis 1998, est en proie à une lutte qui oppose forces gouvernementales, clans et Chabab. Ce qui en fait l’une des régions les plus instables du pays. « On pensait que le Somaliland était une exception, mais on va vers une fragmentation et une autonomisation croissante de ces régions. C’est presque comme si le gouvernement y renonçait avec le projet de fédéralisation. Mais, en même temps, il serait plus ridicule encore de continuer à prêcher pour l’Etat unique », commente Gérard Prunier, consultant spécialisé sur l’Afrique de l’Est.

Parade militaire et drapeaux dans les rues, la République du Somaliland fêtait cette semaine les vingt-cinq ans d’une indépendance qu’elle est la seule à reconnaître. La rupture avec le gouvernement central est actée depuis 1991. En quarantaine, coincé entre l’Ethiopie, Djibouti et le reste de la Somalie, elle est l’une des régions les plus pauvres de la corne de l’Afrique. « Mais les deux tiers de la zone jouissent aujourd’hui d’une stabilité relative mais réelle en terme de sécurité. Aucune région en Somalie ne peut en dire autant », nuance Gérard Prunier. Dans le contexte actuel, le redécoupage des frontières internes pourraient s’avérer contreproductif et donner aux Chabab l’espace nécessaire pour se restructurer.