Ashley, rappeuse guinéenne anti-pédophile
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Nattes tressées sur le crâne sans mèche ni postiche, Aïcha Bah, alias Ashley, rappe à l’arrière de la Mercedes-Benz C280 Elegance que conduit son manager et producteur guinéen, Ouspé. La Sierra-léonaise de 17 ans s’échauffe avant sa battle avec Leïla, l’autre rappeuse qui fait du bruit à Conakry. La confrontation aura lieu sur les ondes d’Espace FM dans l’émission « Showbizz Police » animée par Maka Traoré, icône de la production culturelle en Guinée.

Entre les vitres teintées du véhicule, la lycéenne peule en veste crème, tee-shirt et jean blancs, répète les paroles de son titre « Kono Non » (« t’as raison », en pular), un rap qui dénonce la pédophilie.

« Il appelle à voix basse la fillette/
l’a conduit dans un coin/
lui chuchote des mots doux/
lui donne des sucettes et des biscuits/
il veut l’amadouer et abuser d’elle (…) »

Le texte est autobiographique. Quand Aïcha Bah avait 12 ans, un muezzin qui habitait en face de chez elle lui a fait des avances. « Il m’a dit : “Come on baby, I have a bonbon”. Il m’a touché les seins. J’ai tapé ses mains et je suis partie en courant », raconte-t-elle.

« Tortures morales et violences physiques »

L’adolescente vit avec ses sept frères et sœurs à Wanindara, un quartier chaud de Conakry, mais elle est née à Kambia, dans le nord de la Sierra Leone. Sa révolte est plus large que de s’insurger contre un muezzin libidineux. Elle dénonce aussi la polygamie. Elle n’a pas revu son père épicier depuis des années. « Quand le mari prend une seconde épouse, il ne se soucie plus du tout de sa première ni des enfants qu’il a eus avec elle. Je n’aime pas la polygamie », lâche la jeune rappeuse dans un français encore mal assuré, après cinq années passées à Conakry.

La mère d’Ashley, elle, vend du riz sur le marché Wanindara. Une situation précaire que ne digère pas la jeune fille. « Les femmes ne sont pas assez alphabétisées. Elles sont victimes de tortures morales, parfois même de violences physiques. Elles sont sous-estimées par leur mari et par la société, alors que ce sont elles qui se lèvent tôt tous les jours pour vendre sur le marché et s’occuper des enfants. »

Il y a donc les colères d’Ashley. Pas inutile pour une rappeuse. Mais il y a aussi un rêve. Celui d’écrire des romans, de produire des films. La jeune fille qui étudie au lycée anglophone Wisdom Academy de Conakry a pour icône Omotola Jalade-Ekeinde, une actrice nigériane qui figurait parmi les cent personnes les plus influentes du monde en 2013, selon Time.

Bye bye Ebola

En 2014, Ashley n’est pas sortie de chez elle. Du haut de son mètre cinquante-huit, elle se souvient d’Ebola qui a tué 2 500 personnes en Guinée. « Ma mère ne voulait plus qu’on prenne les taxis pour aller au lycée, elle avait peur qu’on attrape le virus. » Cette année sans école, cantonnée à la maison, Ashley l’a utilisée pour écrire ses textes et polir son flow. Dès que la fin de l’épidémie est proclamée par l’Organisation mondiale de la santé en décembre 2015, elle se précipite sur la scène du concert « Bye bye Ebola » organisé par la présidence guinéenne. Elle y côtoie de grands noms de la musique africaine tels Youssou N’Dour, Tiken Jah Fakoly, Mory Kanté ou Aïcha Koné.

Sa chanson d’ouverture, « Ash Miwaitai » (« e me nomme Ashley »), est un cri de victoire qu’elle scande dans un mélange d’anglais et de pular, avec un phrasé véloce que certains journalistes guinéens comparent à celui de Dr. Dre. Aujourd’hui, Ashley sort un maxi-single qui contient notamment un rap afrobeat en créole léonais intitulé « Pépé soupe », un potage à base de viande de bœuf, de piments et de tomates qu’on donne aux malades de la grippe pour décongestionner leurs voies nasales. « Pépé soupe », c’est aussi une expression locale pour désigner ces vieilles personnes qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas. Ashley, elle, se mêle de tout. Elle a le droit, elle est jeune.