En 2015, peu avant l’ouverture du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé à la Cour pénale Internationale (CPI) de La Haye, deux Français avaient publié deux livres qui défendaient la thèse selon laquelle le vrai vainqueur de l’élection de 2010 était Laurent Gbagbo. Et, devant les juges, c’est cette ligne de défense qu’a adopté l’ancien chef d’Etat ivoirien.

Il y a quelques jours, peu avant l’ouverture du second procès de Simone Gbagbo à Abidjan, voici qu’un autre Français, Laurent Bigot, ancien diplomate, prend sa plus belle plume pour se poser la question de savoir qui d’entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara est le vrai vainqueur de l’élection de 2010. C’était le 27 mai sur le site du Monde Afrique. Et, comme par hasard, au second jour de son procès, Simone Gbagbo a dénié à Alassane Ouattara la victoire à l’élection de 2010 et clamé pendant plus de deux heures que son mari était le vrai vainqueur de l’élection, puisque le président du Conseil constitutionnel l’avait affirmé.

Défaite de gaîté de cœur

N’est-ce pas étrange ? Rappelons à quiconque aurait raté une partie du film que nous sommes en 2016, dans le second mandat de M. Ouattara. Mais intéressons-nous à l’œuvre de M. Bigot. Qu’y lisons-nous ? Il commence par poser dans le titre de sa chronique cette « violente question » comme on dirait en Côte d’Ivoire : « Qui a gagné la présidentielle de 2010 ? » Et, quelques lignes plus loin, il conclut ainsi : « Je ne sais pas qui a réellement remporté l’élection de 2010 mais une chose est certaine, les résultats certifiés par les Nations unies ne sont pas les bons. »

Avant d’arriver à cette conclusion, Laurent Bigot cite le fait que les rebelles qui occupaient le nord du pays n’avaient pas désarmé au moment de l’élection, et que l’Etat ivoirien n’avait pas retrouvé sa souveraineté sur la zone dite centre, nord et ouest (CNO). Rappelons à ce M. Bigot, ou plutôt informons-le, qu’avant l’élection de 2010, Laurent Gbagbo avait créé ce que l’on appelait le Centre de commandement intégré qui comprenait des éléments de l’armée régulière et d’autres de la rébellion, et qui était chargé d’assurer la sécurité dans la zone CNO.

Cette zone n’était donc pas hors du contrôle de l’Etat ivoirien représenté par Laurent Gbagbo. Précisons aussi qu’à la veille du second tour, le même Gbagbo avait instauré, à la surprise générale, un couvre-feu sur l’ensemble du territoire national. M. Bigot parle également de nombreux procès-verbaux en zone CNO qui, selon lui, sont suspects, où l’on trouve plus de votants que d’inscrits. Combien de procès-verbaux de ce type a-t-on trouvé ? N’en a-t-on trouvé que dans les zones CNO et dans les régions favorables à M. Ouattara ?

M. Bigot ne nous en dit pas plus. Quelle importance donc accorder à son affirmation ? Aucune. On peut donc passer à autre chose. Il cite alors Henri Konan Bédié qui, après le premier tour, avait contesté le rang qu’il avait occupé ? Depuis quand, en Afrique, un perdant accepte sa défaite de gaîté de cœur ? Ce que l’on doit en revanche reconnaître à M. Bédié, c’est d’avoir finalement accepté sans difficulté le résultat du premier tour et d’avoir donné son soutien à M. Ouattara pour le second. Faut-il s’étonner outre mesure, comme le fait M. Bigot, que l’ambassadeur de France le félicite pour cette attitude ?

Par la suite, M. Bigot parle de la proclamation hors délai des résultats, à l’hôtel du Golf, le QG du candidat Ouattara. Précisons que cette partie de notre Histoire ne s’est pas jouée à huis-clos, mais devant le monde entier. Et presque tous ses acteurs et témoins sont toujours vivants. Alors, rappelons-en les séquences aux mémoires volontairement oublieuses. Deux jours après le scrutin, lorsque le porte-parole de la Commission électorale indépendante (CEI) voulait donner les résultats au siège de ladite commission, il en a été empêché par le représentant de Laurent Gbagbo. Et, par la suite, tout le personnel de la CEI ainsi que tous les journalistes présents sur les lieux en ont été chassés par les soldats de Laurent Gbagbo.

Le président de la CEI et ses collaborateurs ont dû se cacher pour sauver leur vie. Alors, en accord avec le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies et l’ensemble des diplomates en poste en Côte d’Ivoire, il est allé proclamer les résultats à l’Hôtel du golf, qui était le seul endroit que l’ONU avait sécurisé et qui n’était pas une représentation diplomatique.

Un comptage des voix non contesté

Enfin, après avoir cité Bernard Houdin, conseiller de Laurent Gbagbo venu de l’extrême droite française, qui avait affirmé que 2 000 procès-verbaux représentant 300 000 voix avaient été rejetés, M. Bigot soutient qu’il aurait fallu recompter les voix. Faut-il encore répéter que ni le camp Gbagbo, ni le Conseil constitutionnel n’ont remis en cause le comptage des voix ? Paul Yao-Ndré, président du Conseil constitutionnel, a juste annulé les votes de 3 000 bureaux de sept départements situés dans les fiefs électoraux de M. Ouattara, au motif qu’il y aurait relevé des irrégularités. Dès qu’une prétendue irrégularité était relevée dans une localité par M. Yao-Ndré, tous les votes du département étaient annulés. Cela est-il acceptable ? Ainsi, d’annulation en annulation, il donne Laurent Gbagbo gagnant au finish.

La loi électorale précise pourtant que, si le Conseil constitutionnel relève des irrégularités dont la prise en compte modifie les résultats donnés par la CEI, il doit les annuler tout simplement et appeler à l’organisation d’un nouveau scrutin. Ce qu’il n’a pas fait. Cela dit, M. Bigot peut toujours aller procéder à son propre comptage puisque tous les documents de cette élection sont archivés dans les locaux de la Sagem (aujourd’hui Morpho-Safran), la société chargée des opérations techniques par Laurent Gbagbo.

Terminons en rappelant que le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies a expliqué en long et en large à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), à l’Union africaine et à l’ONU les méthodes qu’il avait utilisées pour certifier les résultats de ce scrutin, que des chefs d’Etat représentant toutes les régions du continent africain sont venus en Côte d’Ivoire avec leurs experts, ont rencontré toutes les parties, ont consulté tous les documents qu’ils voulaient, et tout ce monde a reconnu la victoire de M. Ouattara sur M. Gbagbo. M. Bigot en conclurait-il qu’ils sont tous des imbéciles ou qu’ils auraient été corrompus ou hypnotisés par M. Ouattara ?

Venance Konan, écrivain et journaliste, est le directeur du groupe Fraternité Matin, à Abidjan.