Un plongeur à l’occasion de la journée mondiale de l’océan, dans le South East Asia Aquarium de Singapour, mardi 7 juin 2016. | Wong Maye-E / AP

Face à l’ampleur des déchets, des pollutions et de leurs conséquences, Maurice Fontaine, directeur de l’Institut océanographique de Monaco dans les années 1970, disait que nous entrions dans l’ère du « poubellien ». Quarante ans plus tard, nous constatons malheureusement la force de cette intuition.

Car l’envahissement de la planète par nos déchets ne cesse de s’accélérer : le jetable, dont l’apparition remonte aux années 1950-1960, entrait alors en force dans notre quotidien pour rapidement s’établir comme un modèle de société. Des lingettes aux smartphones dont l’obsolescence est organisée sciemment en passant par la « fast fashion » des grandes chaînes textiles, l’amoncellement des déchets est le pendant implicite de notre confort, de notre liberté et, soyons lucides, de notre hypocrisie collective.

Pendant des décennies, l’océan, dont nous célébrons la journée mondiale le 8 juin, a endossé bien malgré lui le rôle de l’immense tapis bleu sous lequel nous cachons méthodiquement nos déchets. Que ce soit volontairement, comme lors des tentatives d’immersions des déchets nucléaires, parfois à quelques mètres de nos côtes. Ou simplement par négligence, corollaire de notre insouciance.

Dioxyde de carbone, plastique, métaux lourds…

Car l’océan a longtemps fait figure de décharge sans fond qui débarrasse discrètement les continents de nos déchets modernes : le dioxyde de carbone qu’il absorbe en quantité ; le plastique qui, chaque année, par centaines de millions de tonnes, tend à se substituer à toute forme de vie sous l’eau ; ou encore les détergents, métaux lourds et autres produits pharmaceutiques ou agricoles que nos continents, malades et saturés, rejettent en continu dans les mers.

Si nous savons depuis de nombreux siècles que l’océan est immense, nous commençons peut-être à comprendre, en atteignant certaines limites, qu’il n’est ni infini ni autorégénérant. Notre société de l’éphémère produit des déchets persistants qui feront subir leurs effets à l’océan et à tous ceux qui en dépendent des siècles durant. Les « continents » de plastique qui flottent au gré des courants ne sont qu’une petite partie du problème : ils ne représentent « que » 15 % environ des déchets qui finissent dans l’océan : ils sont l’écume du poubellien.

Des solutions existent

L’être humain commence à entrevoir que son impact sur la planète est d’une ampleur qui le dépasse. Comment alors imaginer que les déchets n’auront pas d’effets sur nous, car, contrairement à ce que l’emploi du mot « environnement » laisse penser, il n’y a pas d’un côté l’être humain et de l’autre le reste du monde. Nous sommes parties prenantes de la chaîne de la vie.

Les populations dépendant de la pêche voient la mer se vider de ses ressources. C’est un drame pour nos pêcheurs, mais une catastrophe absolue pour ceux des pays du Sud qui n’ont d’autre choix que prendre les routes si risquées d’une migration subie ; les poissons que nous consommons sont pollués par les métaux lourds ou l’ingestion de plastique… Inévitablement, le poubellien contamine toute la chaîne alimentaire, dont l’homme est un des ultimes maillons… Ne transformons pas notre terre et nos océans en une gigantesque poubelle.

Les solutions existent : économie circulaire, interdiction des sacs plastiques, matériaux biodégradables, éco-conception, recyclage, interdiction de l’obsolescence programmée par les industriels. Nous ne nous résignerons jamais à vivre dans l’ère du poubellien. Ce dessein tout à la fois politique, technique, industriel et humaniste bourgeonne déjà. C’est le projet de civilisation de notre siècle.