Yannick Nézet-Séguin en répétition avec l’Orchestre de Philadelphie, en 2012. | Matt Rourke / AP

C’est donc le chef d’orchestre québécois Yannick Nézet-Séguin, 41 ans, qui prendra la succession de James Levine à la tête du Metropolitan Opera de New York, a annoncé jeudi 2 juin le directeur général Peter Gelb. Il sera le troisième directeur musical en 133 ans d’histoire de la prestigieuse maison d’opéra américaine, après le long règne de quatre décennies de James Levine et le passage éphémère de Rafael Kubelik – une seule saison en 1973-1974.

S’il ne prendra pleinement ses fonctions qu’à partir de 2020, Nézet-Séguin devra cependant être opérationnel dès la saison prochaine en tant que directeur musical désigné. La démission de James Levine à 72 ans pour raisons graves de santé (une maladie de Parkinson avancée) d’un poste dont il reste titulaire à titre honorifique – directeur musical émérite – n’aura pas permis un passage de témoin en douceur. Le poste implique en effet la totale responsabilité de la musique, qui va de l’autorité sur l’orchestre, le chœur et le personnel affilié aux fonctions musicales, ainsi qu’une étroite collaboration avec la direction générale pour superviser le choix des répertoires, des artistes invités et des nouvelles productions. A partir de 2020, Yannick Nézet-Séguin devra diriger cinq opéras par saison et une série de concerts avec l’orchestre du Met. D’ici là, il se contentera de deux productions. La première, la saison prochaine, sera la reprise du Vaisseau fantôme, de Wagner.

« Honoré et impressionné »

« Devenir le directeur musical du Metropolitan Opera est pour moi l’accomplissement d’un rêve », a confié le Canadien au New York Times, et je suis vraiment honoré et impressionné de succéder au légendaire James Levine, ainsi que de travailler avec (…) ce que je crois être la plus grande maison d’opéra au monde. Je me donne pour mission de préserver avec passion le niveau artistique le plus élevé tout en imaginant un nouveau et brillant avenir pour notre forme d’art. » Yannick Nézet-Séguin a fait ses débuts au Met le 31 décembre 2009 dans une nouvelle production de Carmen, de Bizet, avec Roberto Alagna et Elina Garanca. Il y est revenu presque chaque saison, toujours avec succès, pour Don Carlo, de Verdi, Faust, de Gounod, La Traviata, de Verdi, et Rusalka, de Dvorak. En septembre 2015, il a même dirigé le gala d’ouverture de la saison avec une nouvelle production d’Otello, de Verdi.

Brillant, spontané, charismatique, notoirement à l’aise dans le grand répertoire des XIXe et XXe siècles (Saint-Saëns, Mendelssohn, Mahler, Bruckner) et avec Mozart – il a gravé avec le Mahler Chamber Orchestra pour Deutsche Grammophon une série d’opéras –, le chef né à Montréal le 6 mars 1975 est aujourd’hui une des baguettes les mieux cotées. La carrière de ce surdoué, pianiste de formation et venu à l’orchestre par la direction de chœur dès l’âge de 13 ans (il a débuté comme chef de chœur et chef d’orchestre adjoint de l’Opéra de Montréal à 23 ans), a commencé plutôt modestement en 2000. Il a alors 25 ans et prend la tête de l’Orchestre métropolitain de Montréal. Quelques années suffisent pour que Yannick Nézet-Séguin se fasse rapidement un nom et soit invité partout. Que ce soit sur la scène lyrique (de Salzbourg à New York, en passant par Vienne, Londres, Milan ou Amsterdam) ou auprès de phalanges de premier plan (orchestres philharmoniques de Berlin et de Vienne, symphonique de la Radio bavaroise, London Philharmonic, Orchestre de chambre d’Europe).

Navette avec Philadelphie

En 2008, il devient simultanément le successeur de Valery Gergiev à la tête de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam (une position qu’il occupe toujours mais quittera en 2018) et premier chef invité de l’Orchestre philharmonique de Londres (jusqu’en 2014). C’est cependant l’Amérique qui lui offre en 2010 le poste très envié de directeur musical de l’Orchestre de Philadelphie, l’un des « Big Five » américains, dont il prend les rênes en 2012 et avec lequel il vient de prolonger, il y a quelques jours, son contrat jusqu’en 2025-2026. La proximité de New York et de Philadelphie devrait faciliter la navette entre les deux postes, et, pourquoi pas, donner l’occasion de développer des partenariats entre les deux institutions musicales.

Yannick Nézet-Séguin n’ignore pas que le Met est depuis plusieurs années en situation de déficit. La fréquentation de la salle de 3 800 places a enregistré entre 2009 et 2014 une chute significative (son taux est tombé de 88 % à 73 %) tandis que le mécénat a connu un net ralentissement depuis la crise de 2008. Une baisse de 7 % des rémunérations a même été négociée avec les représentants du personnel. Une lueur d’espoir cependant : même s’il ne compense pas la perte des anciens abonnés, l’émergence d’un nouveau public aurait enregistré une croissance de 9 %. Un signe que Yannick Nézet-Séguin ne prend pas à la légère : « Je suis tout à fait conscient que le Met se trouve devant d’énormes défis pour l’avenir, et je suis prêt à les relever. »