Frédéric Oudéa, directeur général de la Société générale, le 11 mai. | Francois Mori / AP

Le bureau du Sénat a dit « non », jeudi 26 mai, lors d’un vote à huis clos. A une très large majorité, la Haute assemblée a décidé de ne pas poursuivre en justice Frédéric Oudéa, directeur général de la Société générale, pour l’éventuel « faux témoignage » commis lors de son audition sous serment du 17 avril 2012, devant la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion fiscale.

« Si les propos en cause ont pu comporter une part d’ambiguïté, ils (ne sont) pas susceptibles d’être qualifiés de faux témoignage au sens du droit pénal, une telle incrimination étant d’interprétation stricte », fait valoir le communiqué du bureau, publié jeudi. Le faux témoignage est un délit pénal, passible de cinq ans de prison et de 75 000 euros d’amende.

En 2012, M. Oudéa avait affirmé non seulement que sa banque avait fermé ses implantations dans les paradis fiscaux non coopératifs, dont Panama, mais qu’elle n’y avait plus aucune activité. Des affirmations contredites, dans les faits, par les révélations des « Panama Papers ». L’enquête parue début avril, coordonnée par le consortium de journalisme d’investigation ICIJ et à laquelle Le Monde a participé, a montré que la Société générale avait créé plus de 1 000 sociétés offshore pour ses clients entre 1977 et 2015, dont 415 étaient encore actives en 2012 et 66 aujourd’hui.

La réunion du bureau du Sénat a toutefois donné lieu à débat

Ces sociétés écrans ont été formées avec le cabinet d’avocat panaméen Mossack Fonseca, au Panama, aux Iles Vierges britanniques et aux Seychelles. Pour sa défense, M. Oudéa fait valoir que ces entités n’appartiennent pas en propre à la banque, mais à ses clients.

La réunion du bureau du Sénat a toutefois donné lieu à débat. Sur les 26 membres de l’instance, où là droite est majoritaire, six à sept sénateurs, de tous bords politiques, auraient souhaité laisser la justice trancher et voté en ce sens. « Le bureau a (…) souligné l’importance qui s’attache à ce que l’activité des banques françaises respecte scrupuleusement les règles de transparence financière et les lois fiscales, sur le territoire national comme en dehors », indique le communiqué. Le président du Sénat, Gérard Larcher (Les Républicains), fera, de son côté, prochainement, un « rappel aux devoirs et aux conséquences s’attachant aux déclarations faites sous serment ».

Amertume de certains sénateurs

A l’issue du vote, certains sénateurs laissaient exprimer leur amertume. « Cette décision est dommageable et potentiellement destructrice pour le Sénat, estime Eric Bocquet (groupe Communiste, républicain et citoyen), alors même que, sur le fond de l’affaire Panama Papers, le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire pour blanchiment de fraudes fiscales aggravées, et que le régulateur des banques de New-York demande des comptes à la Société générale ».

« Il est évident que M. Oudéa n’a pas dit toute la vérité et qu’il revenait à la justice d’y contribuer, poursuit M. Bocquet, ex-rapporteur de la commission d’enquête sur l’évasion fiscale. Le Sénat n’est pas un tribunal, nous devions transmettre le dossier. »

De son côté, Nathalie Goulet (UDI-UC), qui fut vice-présidente de la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux, créée en 2013 après l’affaire Cahuzac, regrette « le verrou du bureau du Sénat ».

« Je m’interroge sur cette décision qui aurait pu ou dû être laissée aux juges, d’autant que le risque de voir l’action prescrite est très fort, dit-elle. Le bureau a statué dans cette matière comme en matière de levée d’immunité parlementaire. » Or, ajoute la sénatrice, « dans le climat général, il eut été préférable à mon avis de laisser les juges trancher… Une décision judiciaire aurait évité la polémique. »

De fait, les déclarations de M. Oudéa, datant de plus de trois ans, auraient pu être prescrites, même si ce point juridique n’avait pas été clairement arbitré par les experts du Sénat.