Un pic de pollution à Paris, le 18 mars 2015. | FRANCK FIFE / AFP

Au tour de l’Assemblée nationale de plaider en faveur d’une « relance » et d’un renforcement de la politique de lutte contre la pollution atmosphérique. Dans un rapport présenté jeudi 19 mai au titre du Comité d’évaluation et de contrôles des politiques publiques, les députés Jean-Louis Roumégas (EELV) et Martial Saddier (Les Républicains) pointent à leur tour l’instabilité et le manque de cohérence de l’action publique. Ils rejoignent leurs collègues du Sénat qui, en juillet 2015, dénonçaient eux-mêmes un manque d’efficacité et chiffraient à 101,3 milliards d’euros la charge financière globale de la mauvaise qualité de l’air.

« Les plans nationaux ont été adoptés selon un calendrier heurté en partie dicté par les risques de contentieux européens », déplorent les députés, tout en soulignant le manque préjudiciable de cohérence des politiques de lutte contre la pollution de l’air et le changement climatique. « Des mesures sont développées pour diminuer l’émission de CO2 sans prendre en compte qu’elles peuvent entraîner l’émission d’autres polluants », observe Martial Saddier, donnant en exemple l’incitation à utiliser de la biomasse pour le chauffage, une source d’énergie renouvelable considérée comme neutre du point de vue des gaz à effet de serre, mais qui peut contribuer, localement, à une surémission de particules fines.

Aussi, déplorant que les mesures prises au plan local puissent être « perturbées par des interventions du niveau national », les deux parlementaires insistent sur la nécessité de renforcer la décentralisation en matière de qualité de l’air. La pollution atmosphérique étant, sauf rares exceptions, un problème de dimension locale, le principe de subsidiarité doit être « intégralement respecté », affirment-ils, appelant à faire des régions et des intercommunalités les pivots des politiques de qualité de l’air.

Simplifier et accélérer la gestion des pics

La gestion des pics de pollution, en particulier, doit être « simplifiée et accélérée », défendent les parlementaires, qui plaident pour un déclenchement anticipé, par les collectivités, des mesures obligatoires sur la base des prévisions effectuées par les observatoires régionaux de surveillance de la qualité de l’air. Les deux seuils de déclenchement (information et alerte) mériteraient également d’être remplacés par un dispositif de vigilance atmosphérique évoluant en fonction de l’intensité de la pollution, mesurée par quatre couleurs (vert, jaune, orange, rouge) sur le modèle « universellement compris » des alertes météorologiques de Météo France. Plus lisible pour les citoyens, ce dispositif de vigilance « faciliterait la graduation des décisions à prendre ».

Le rapport ferme définitivement la porte à la mesure la plus emblématique, la circulation alternée, qui « ne rime à rien car elle ne cible pas les véhicules les plus polluants ». A celle-ci devrait se substituer, pour ses auteurs, « une circulation graduée ou partagée, réservée aux véhicules les moins polluants ou au covoiturage ».

Au-delà même des pics de pollution, la lutte contre la pollution doit devenir « une priorité pour le secteur routier », qui émet 54 % des oxydes d’azote (NOx), rappellent les deux députés. Cette priorité passe notamment par le développement dans les agglomérations de zones à circulation restreinte, dont l’accès est réservé aux véhicules les moins émetteurs. Cela nécessite toutefois, précisent-ils, que chaque véhicule présente « obligatoirement » sur son pare-brise une vignette témoignant de son degré de propreté. Et pour cela, que soit instaurées sept catégories de vignette comme initialement envisagé, et non seulement quatre, afin de favoriser une progressivité dans la mise en place de ces zones, et dès lors une meilleure acceptation.

Pour en renforcer l’efficacité, les deux élus insistent pour que soit aussi prévu à l’entrée de ces zones un dispositif d’identification automatisée, avec une lecture par des caméras des plaques d’immatriculation pour les comparer à une base de données centralisant les normes d’émission des véhicules.

Il faudrait aussi rendre les aides au renouvellement du parc automobile plus incitatives. Le bonus-malus, notamment, qui, jusqu’ici, a permis de lutter contre les émissions de dioxyde de carbone puisque centré sur le CO2, devrait jouer aussi en faveur de la qualité de l’air et, pour cela, prendre en compte les polluants atmosphériques (les NOx et les particules fines). Les députés proposent aussi d’instituer une prime à la casse « ciblée » sur les véhicules les plus polluants (poids lourds, véhicules utilitaires légers, autocars anciens).

Divergences sur le levier fiscal

Les deux élus ne cachent pas, en revanche, diverger sur l’usage du levier fiscal. L’écologiste Jean-Louis Roumégas prône une augmentation de la taxe sur les poids lourds de fort tonnage, dite « taxe à l’essieu », et plaide pour une suppression du différentiel de taxation du gazole et de l’essence. Mais pour Martial Sadier, ce rééquilibrage de la fiscalité des carburants contribuerait à réduire la demande en voitures diesel et affecterait la valeur de ces véhicules, pénalisant constructeurs et propriétaires de diesel. « Il faut privilégier le retrait, par des aides incitatives, des véhicules essence et diesel les plus anciens », défend l’élu LR de Haute-Savoie, qui préside le Conseil national de l’air.

Au-delà même du transport, il faut « davantage » impliquer les autres secteurs dans la lutte contre la pollution de l’air, affirment les deux parlementaires. Si des progrès ont été réalisés par le monde industriel, l’agriculture et le secteur du logement sont « à la traîne ». « Les agriculteurs ont encore aujourd’hui peu conscience de leur contribution à la pollution », constate Jean-Louis Roumégas. « Il faut, insiste-il, intégrer un volet qualité de l’air dans la politique agricole, et faire du verdissement des exploitations un levier de leur compétitivité. »

Dans le secteur du logement, « la performance énergétique du parc immobilier est le gage de celle de la qualité de l’air », soulignent les parlementaires. Un dispositif incitatif comme le fonds Air-Bois développé dans la vallée de l’Arve (Haute-Savoie) mériterait par exemple d’être généralisé pour favoriser le remplacement des vieux appareils de chauffage, grande source de particules fines. Les députés insistent sur l’importance d’agir sur la qualité de l’air intérieur, « plus pollué que l’air extérieur ». Et préconisent de lancer une campagne nationale de sensibilisation aux risques de ce fléau, encore négligé.