Une bannière pour accueillir les supporteurs de l’Euro 2016, gare de Lyon, à Paris, le 7 juin. | CHARLES PLATIAU / REUTERS

Romain s’est levé à quatre heures du matin pour obtenir les premiers billets mis en vente sur le site de l’UEFA. Pendant un an et demi, Dustin, lui, a réalisé un véritable tour d’Europe afin d’assister aux matchs de qualification de la Belgique pour l’Euro 2016. Des mois avant le coup d’envoi de la compétition – elle se tient du vendredi 10 juin au dimanche 10 juillet – Gary a réservé une centaine de places d’un TGV Lyon-Paris pour assister, avec son groupe de supporteurs irlandais, au match de son pays contre l’Allemagne.

A en croire les supporteurs des différentes équipes qualifiées, leur motivation pour assister à cette compétition est irrépressible. Et rien ne semble devoir décourager les 2,5 millions de visiteurs attendus d’assister aux matchs de leurs équipes de cœur. Pas même les mises en garde contre le risque d’attentat – les autorités américaines et britanniques ont parlé de la France comme d’une « cible potentielle », appelant leurs ressortissants à « la vigilance ».

Selon l’Union des associations européennes de football (UEFA), plus d’un million et demi de supporteurs étrangers sont attendus, « les plus mobilisés étant les Anglais et les Allemands ». « Rien ne nous empêchera de vivre notre passion à fond », résume Yannick Vanhée, le président de la Fédération des sections nationales de supporters des Bleus, qui regroupe douze associations.

« C’est plutôt les Français qui ont peur des attentats »

Un tel engouement, les hôteliers, restaurateurs et commerçants n’y croyaient plus, douchés par la multiplication des grèves (SNCF, RATP, Air France, raffineries, etc.), la météo maussade sur une partie du pays, et surtout les risques d’attentats sur le sol français.

« Trois mois après les attentats, les touristes, notamment étrangers, ont recommencé à réserver en France. Les attaques de Paris et Saint-Denis devraient donc avoir peu d’influence sur la motivation des supporteurs », prévoit le comité régional du tourisme d’Ile-de-France, qui a installé un point d’information près du Stade de France (Seine-Saint-Denis), pour informer les touristes sur les moyens de sécurité mis en place.

Benjamin, qui loue pour la première fois sur Airbnb sa maison de Lille, rapporte que ses locataires ne lui ont posé aucune question sur la menace terroriste dans le pays. « C’est plutôt les Français qui ont peur », constate le jeune homme de 33 ans, qui va accueillir chez lui des supporters venus des Etats-Unis, des Pays-Bas, de Grande-Bretagne, de Suisse, de République tchèque et de France.

Des supporteurs éviteront le Stade de France

Gary McAllister, membre d’un groupe de supporteurs irlandais, espère même qu’une forte mobilisation à l’Euro 2016 permette d’éloigner des esprits la menace d’attentat :

« En Irlande du Nord, nous mesurons qu’une menace d’attentat constitue une véritable chape de plomb. Cependant, tout comme le football a vaincu le terrorisme dans notre pays, nous espérons que l’Euro aura le même impact en France. »

Les supporteurs ayant confié leurs inquiétudes face à cette menace latente ont généralement été confrontés, de près ou de loin, aux attentats du 13 novembre. « Certains ont décidé de ne pas assister aux matchs du Stade de France, comme mon fils de 11 ans, qui était dans les tribunes le soir du 13 novembre », confie Yannick Vanhée, qui précise que le sujet est presque tabou, les supporters préférant « ne pas s’inquiéter entre eux ».

Le défenseur allemand Jérôme Boateng, présent lui aussi au Stade de France lors des attaques, a indiqué dans un entretien à l’hebdomadaire Sport Bild, que sa famille ne viendra pas voir les matchs de la Mannschaft, le risque étant « trop important ».

« Il faut cesser de mettre le pays à genou »

Les supporters se préoccupent davantage des grèves, qui compliquent la circulation entre les dix villes hôtes de la compétition (Bordeaux, Saint-Denis, Paris, Lens, Lille, Saint-Etienne, Lyon, Toulouse, Marseille et Nice). A Paris, les conducteurs des lignes de transport ferroviaire (RER B et D) qui desservent le Stade de France où aura lieu vendredi soir le match d’ouverture de l’Euro 2016, France-Roumanie, ont prévenu qu’ils seraient massivement en grève.

A la veille de la compétition, le président François Hollande a affirmé que « l’Etat prendra toutes les mesures qui seront nécessaires ». Vendredi 10 juin, Alain Vidalies, le secrétaire d’Etat aux transports a enfoncé le clou sur Europe 1 :

« S’il faut utiliser demain les réquisitions, nous le ferons. Pour l’instant, nous sommes capables d’amener les gens au Stade de France. »

« Je ne suis pas sûr que bloquer les supporters soit la meilleure image que l’on puisse donner de la CGT », a admis Philippe Martinez, le leader du syndicat en pointe dans la contestation antigouvernementale. Un discours porté par les supporteurs. « Il faut cesser de mettre le pays à genou. C’est important pour l’image de la France », soutient Yannick Vanhée, qui a organisé en conséquence les déplacements des 250 supporteurs de son association.

Selon Richard Duhautois, économiste au Centre d’études de l’emploi (CEE) et coauteur du livre Sciences sociales football club (De Boeck université, 2015), les mouvements sociaux ont peu de répercussion sur la motivation des supporteurs. « Lors de la coupe du monde 1998, la situation sociale était similaire, et la mobilisation a été très forte », résume l’enseignant-chercheur, interrogé sur RFI.

La voiture comme plan B

Loin de se décourager, les supporteurs ont opté pour des moyens de transports alternatifs. « On a prévu des plans B, mais on vivra l’Euro comme on a prévu de la vivre », résume M. Vanhée, qui, pour se rendre à Marseille, prendra l’avion en Belgique, plutôt que de partir de Lille. Pour le chemin du retour, si la grève touche la cité phocéenne, le supporteur n’exclut pas de parcourir 1 200 kilomètres en voiture afin d’assister au match des Bleus contre la Suisse, prévu à Lille le 19 juin.

Cette pagaille dans les transports est plus difficile à appréhender pour les supporteurs étrangers. « Il y a une certaine inquiétude concernant les incidences des grèves sur nos supporteurs voyageant avec Air France ou par train », abonde Gary McAllister. « Généralement, ces vols réservés longtemps à l’avance ne sont pas impactés, les compagnies s’arrangent pour rediriger les supporteurs », assure Gérard Feldzer, consultant en aéronautique.

Dustin, membre d’une association de supporteurs belges, a pour sa part choisi de faire tous ses déplacements en voiture : « Les longs trajets, ça fait partie du charme. » En compagnie d’une dizaine d’amis, il prendra la route en camionnette vers Bordeaux, pour s’installer dans la ville de résidence de l’équipe de Belgique. La ville attend 40 000 supporteurs belges et 60 000 Irlandais.

Les hôtels accusent le coup

Pour autant, les hôtels de Bordeaux déplorent des chiffres de fréquentation qui ne sont pas à la hauteur de leurs attentes. « Ces trois dernières semaines, le nombre de réservations a chuté, notamment lorsque les images de la voiture de police incendiée ont circulé sur les télévisions du monde entier. On a même eu des annulations », rapporte Laurent Duc, président de l’Union des métiers de l’industrie hôtelière (UMIH), qui précise que les jours précédents le début de l’Euro, les demandes sont reparties à la hausse.

La situation est très contrastée en fonction des villes. Ainsi, à Paris, où l’offre hôtelière est dense, les hôtels sont loin d’être complets. « A l’inverse, à Saint-Etienne, les 2 000 hôtels de la ville sont pleins », détaille Laurent Duc, qui indique que c’est le cas dans les villes peu peuplées, comme Lens (Pas-de-Calais) ou à faible offre hôtelière, comme Toulouse.

Concernant Saint-Denis, seuls les hôtels aux abords du Stade de France ont leur carnet de réservation rempli. « Certains hôtels près des stades ont augmenté leurs prix de 300 % », reconnaît Laurent Duc, qui rapporte qu’aux abords du Stade de France, une chambre supérieure avec deux lits simples est affichée à 480 euros, alors qu’elle était à 195 euros un mois auparavant.

250 000 voyageurs choisissent Airbnb

Si bien que de nombreux supporters ont fait le choix de l’économie collaborative, en se logeant via Airbnb, au grand dam des hôteliers, qui dénoncent une concurrence déloyale, qui s’ajoute à celle subie avec le site Abritel, partenaire de l’UEFA. Au total, 250 000 voyageurs se logeront sur Airbnb pendant l’Euro.

« En moyenne, sur l’ensemble des villes hôtes de l’Euro, il y a trois fois et demi plus de voyageurs qui ont réservé pour la même période, et certaines villes, comme Marseille et Lyon, se distinguent particulièrement, avec respectivement seize fois plus et quinze fois plus », selon Airbnb. « Quand il n’y a plus de place dans les hôtels, ils cherchent des moyens alternatifs pour se loger », résume Sarah Roy, porte-parole de la société, qui précise que le public de supporteurs, plutôt jeune, se tourne vers cette plateforme moins onéreuse que les hôtels.

« Assister aux premiers matchs de poule de l’équipe belge nous coûte environ 1 000 euros en tout. Donc nous avons cherché à faire des économies », abonde Dustin, 26 ans. Benjamin, qui a décidé avec une bande d’amis de mettre leurs logements sur la plateforme collaborative, confirme l’engouement :

« J’ai eu des sollicitations moins d’un quart d’heure après avoir publié l’annonce. »

Selon la plateforme collaborative, les voyageurs Airbnb vont générer plus de 200 millions d’euros d’activité économique dans les villes hôtes. Cela représente près de 44 millions d’euros de revenus pour les hôtes, et 161 millions d’euros de dépenses estimées dans les entreprises locales, les magasins, les restaurants, etc.

Désireuse d’évaluer l’impact économique global de l’Euro 2016, l’UEFA a commandé au Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges un rapport prospectif, qui a évalué les retombées économiques (dépenses et recettes) à 2,8 milliards d’euros. Ce chiffre pourrait être revu à la hausse si tant est que l’organisation des matchs est optimale jusqu’au bout. Et que l’équipe de France réalise un beau parcours.