Capture d'écran

« Vous êtes sûr que vous ne voulez pas enfiler des vêtements ?
– Non, non.
– Ça vous serait utile quand même…
– Non, non, je suis bien comme ça.
– O.K., si vous le dites… »

Pectoraux imberbes au grand vent, nous voici lâché au beau milieu du grand plateau, la zone de départ de The Legend of Zelda : Breath of the Wild, l’ambitieux jeu de lancement de Nintendo pour sa future console, la NX, attendue en mars 2017. Il était présent depuis mardi 14 juin sur le stand du constructeur au salon du jeu vidéo de l’Electronic Entertainment Exposition (E3) de Los Angeles, où nous l’avons essayé durant quarante-cinq minutes.

The Legend of Zelda: Breath of the Wild - Official Game Trailer - Nintendo E3 2016
Durée : 03:19

Eloge du n’importe où

Ah, courir peau à l’air dans un monde virtuel ! La fonctionnalité est rare, mais le nouveau Zelda en laisse la possibilité – ou plus exactement la liberté, son leitmotiv. Dès les premières secondes de l’aventure, Link, le héros, se réveille – torse nu donc – dans une grotte mystérieuse, dans lequel il récupère un codec issu d’une technologie fantastique. Dès le palier de la caverne franchi, un vaste monde s’étend en contrebas, le logo du jeu dans le coin droit, promesse de contrées immenses à explorer à sa guise.

« Je peux aller dans n’importe quelle direction. Je vais aller par là. Je peux couper l’herbe », avait décrit manette en main le producteur exécutif du jeu, Eiji Aonuma, dans une vidéoconférence diffusée mardi soir. Bien d’autres jeux offrent, depuis de nombreuses années, la possibilité d’explorer librement des mondes immenses, de Skyrim à Far Cry en passant par The Witcher, mais il y avait une naïveté presque touchante à voir ce ponte de Nintendo effleurer enfin, en 2016, l’une des grandes tendances de ces dix dernières années.

A bien des égards, ce Zelda troque la vieille formule et les vieux codes de la série pour une grammaire empruntée aux jeux Ubisoft, Bethesda et CD Projekt Red. Disparus, les cœurs cachés dans les fougères. Désormais, Link le héros récolte champignons, gelée sauvage et jambonneaux rôtis pour se restaurer, à la manière de The Witcher. Oubliés, les sacrosaints donjons par régions, remplacés par des centaines de sanctuaires, autant de clochers et de camps à la mode de Far Cry. Même la tunique verte du chevalier légendaire s’est évanouie, remplacée par des myriades d’équipements cachés aux quatre coins du monde et à récolter pour personnaliser sa parure, à la mode de Skyrim.

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The Legend of Zelda

« Le plus amusant, c’est de regarder les différents joueurs jouer : il n’y a pas deux parties qui se ressemblent », suggère fièrement le démonstrateur missionné par Nintendo Europe. De fait, sur la dizaine de bornes de cette partie du stand, un apprenti aventurier est en train d’escalader une tour, un autre de se battre contre des gardiens porcins, un troisième court avec un loup à ses côtés, un voisin transporte une poutre d’un coup de magie, tandis que son vis-à-vis descend d’une colline en surfant sur son bouclier, ou qu’un autre abat un arbre à coups de hache. Pendant que nous, tombée la chemise, on se jette à poil dans un lac gelé.

C’est l’un des charmes de The Legend of Zelda : Breath of the Wild : pouvoir décider de rester en caleçon, enchaînant les phases de varappe sur les rochers, se battant contre des sangliers bipèdes en boxer d’elfe, ou dévalant collines et cascades dos au vent et cuisses à l’air. Un peu nudiste, beaucoup téméraire, les frappes ennemies provoquent davantage de dégâts quand on est dévêtu, et dès que la température descend, dans les zones enneigées, l’ami Link se met à trembler et dépérir. L’ivresse de la liberté, jusqu’aux tréfonds de l’inconscience.

On a couru poursuivi par des abeilles énervées. On a fui des cochons guerriers agressifs. On a couru sur la plaine une longue fourche de fermier en bandoulière dans le dos, juste pour le pouvoir de mêler l’incongru à l’épique. Choisir d’affronter les forces de la nature dans le plus simple appareil, c’est le genre de choix, au demeurant un peu idiot, qu’offre ce nouvel épisode démesurément permissif.

Quand Nintendo fait du Ubisoft

Après plusieurs aventures critiquées pour leur dirigisme, Nintendo a souhaité renouer avec le sentiment d’immensité et d’égarement de l’épisode fondateur, en 1986, et ce morceau de monde que donnait à explorer la démo n’était là que pour souligner ce que chaque partie devrait aux initiatives du joueur.

Est-ce encore un Zelda ? La question se pose. Somptueux dans ses compositions paysagères, élégant dans son esthétique miyazakienne, enivrant dans sa liberté, Breath of the Wild souffre également d’un rythme mollasson, de la faible densité de cette plaine aussi cabossée que vide, et de l’étrange et déprimant sentiment de déjà-vu, déjà-joué, que dégage cette réinterprétation de la saga à la mode de jeux concurrents populaires.

Bien sûr, difficile de présager du résultat final, d’autant que pour techniquement perfectible qu’il soit, le jeu ne tournait pas encore sur NX, la prochaine console de Nintendo. Difficile par ailleurs de porter un jugement pertinent sur une portion de jeu aussi congrue, et si peu représentative de ce que peut être un jeu d’aventure à grande échelle.

En l’état, Breath of the Wild n’est pas la révolution que semblait promettre Nintendo, juste un énième jeu en monde ouvert, débarrassé de ses cœurs rouges, de ses rubis, de ses poules et de sa tunique verte, au maniement tarabiscoté et aux vastes reliefs sans enjeux. Mais porté par une esthétique sublime, l’héritage spirituel d’une saga légendaire, et la possibilité de partir sauver le monde en caleçon.