«  Parmi au moins 67 millions de travailleurs-travailleuses domestiques dans le monde, 80 % sont des femmes. Le travail domestique touche aussi les enfants, dont 11,5 millions de filles âgées de 5 à 17 ans » (Photo: fête dans le cadre de la Journée internationale des travailleurs-euses domestiques, à Hongkong, le 12 juin). | ISAAC LAWRENCE / AFP

A l’occasion du cinquième anniversaire de l’adoption de la Convention 189 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail décent pour les travailleurs et travailleuses domestiques et de la recommandation 201 qui la complète ainsi que de la Journée internationale des travailleurs et travailleuses domestiques, nous, membres d’associations, de syndicats, chercheurs et chercheuses, féministes, ex-travailleuses domestiques, nous unissons pour rappeler à la France que la protection des travailleuses domestiques est une étape incontournable dans l’avancement des droits des femmes au travail.

Le travail domestique est une résultante directe des politiques de libéralisation engendrant pauvreté, absence de services publics – liés notamment aux gardes d’enfants et services à la personne – et manque d’accès à l’emploi – formel, non-flexible et non-précaire – des femmes. Il correspond au travail effectué pour le compte de ménages privés.

80 % de femmes

En raison de la division sexuelle du travail qui existe dans nos sociétés, c’est aux femmes que revient de façon disproportionnée ce type de travail, comme si elles étaient « naturellement » plus aptes à réaliser des tâches domestiques – ce contre quoi nous nous élevons bien entendu ! Parmi au moins 67 millions de travailleurs-travailleuses domestiques dans le monde, c’est-à-dire qui effectuent ces tâches chez des tiers ou un employeur, 80 % sont des femmes. Le travail domestique touche aussi les enfants, dont 11,5 millions de filles âgées de 5 à 17 ans.

Alors que ces dizaines de millions de travailleuses jouent un rôle majeur pour augmenter la participation des femmes au marché du travail – à défaut d’avoir des politiques qui réduisent le travail non rémunéré attribué aux femmes – et qu’elles permettent à de nombreuses personnes de recevoir des soins, elles restent marginalisées, discriminées, violentées, peu protégées, voire exploitées et/ou séquestrées.

Peu de personnes les considèrent, et leur invisibilité liée à la sphère privée dans laquelle elles exercent leurs fonctions ne joue pas en leur faveur. Le manque de respect constant des représentants et représentantes de l’administration publique auprès de qui les travailleuses sollicitent des orientations pour disposer de leurs droits est particulièrement révoltant.

« Fille au pair, ce n’est pas un travail », entendions-nous par exemple, en plus du dénigrement et de leur posture de domination qui renforce le mal-être et l’isolement des travailleuses domestiques. Surcharge de travail, manque de repos, violences de toutes sortes, harcèlement, manque de rémunération de base, isolement, discriminations, à la fois sur le lieu de travail et dans la société sont alors leurs défis quotidiens.

Situations illégales et indignes

Dans le monde, 90 % d’entre elles sont exclues des systèmes de sécurité sociale, 30 % en France, où elles gagnent très souvent moins du smic. L’une d’entre nous, alors au pair, recevait un « argent de poche » de 100 euros par semaine sur la base d’un contrat de 30 heures de travail hebdomadaire – soit 3,33 euros par heure travaillée ! Cette basse rémunération était justifiée par des « compensations » liées au logement et à la nourriture, mais en réalité, les conditions d’attribution de ces derniers ne font l’objet d’aucune vérification.

Le temps de travail peut aussi facilement s’élever à 45 heures par semaine, sans aucune rémunération pour les heures supplémentaires. Ces situations illégales et indignes s’expliquent par le fait que la relation de travail échappe en grande partie à la législation nationale relative au Code du travail. De leur côté, les ménages – souvent aisés financièrement – qui recrutent ces travailleuses profitent du « laxisme » des autorités publiques pour outrepasser les législations.

Grand nombre de travailleuses domestiques sont des migrantes, qui doivent en plus affronter le racisme structurel de nos sociétés. Profitant des facteurs de vulnérabilité auxquelles elles se confrontent – basés entre autres sur le genre, la couleur de peau, l’origine, la classe –, des réseaux de traite les exploitent, passant d’ailleurs par des agences de recrutement de travailleurs et travailleuses domestiques migrant (-es) ou encore des services diplomatiques qui bénéficient d’immunité de juridiction. Le travail domestique est ainsi un des secteurs les plus concernés par le travail forcé.

Dans certains pays, notamment au Liban ou dans les monarchies du Golfe, l’appropriation des travailleuses domestiques étrangères par leur employeur est renforcée par le système de la « Kafala » (tutelle) qui met la travailleuse en situation d’illégalité si elle quitte son employeur, augmentant la vulnérabilité de ses conditions de travail et sa situation personnelle. Ce système permet aussi aux employeurs de restreindre la liberté de mouvement des travailleuses, passant par la confiscation de leur passeport et l’isolement à domicile.

Indifférence

Nous ne pouvons plus tolérer l’indifférence des pouvoirs publics et de la société civile française face à cette situation. Nous sommes nombreux et nombreuses à profiter des services des travailleuses domestiques, notamment pour concilier nos activités professionnelles et nos tâches domestiques, face à un système inégalitaire qui invisibilise et perpétue un travail non rémunéré supplémentaire pour les femmes.

Mais nous sommes encore bien peu à soutenir les travailleuses domestiques dans leurs luttes pour un travail décent – y compris les libertés et droits syndicaux, d’association et de négociation collective – et contre les violences. A l’heure où les mouvements sociaux se mobilisent encore pour les droits des travailleurs-ses et les droits des femmes dans leur ensemble, nous ne pouvons plus ignorer les défis particuliers des travailleuses domestiques.

Ce n’est que lorsque les migrantes seront intégrées, les travailleuses protégées et les violences contre les femmes et les filles éliminées, que tout le monde, sans discrimination de genre, pourra jouir des droits au travail et que toutes les femmes, sans discrimination sociale, économique ou ethnique, pourront disposer de ces droits.

Ces principes ne sont pas nouveaux et ont été énoncés dans la Convention 189 et sa recommandation 201 depuis maintenant cinq ans. Qu’attendons-nous alors pour les mettre en pratique ? Qu’attendons-nous pour prendre en compte les revendications qui permettent l’avancement des droits de toutes les femmes au travail ? Et surtout, qu’attend la France pour rejoindre les 22 autres Etats qui ont ratifié la convention 189 ? Nous resterons mobilisés (-e-s) jusqu’à ce que toutes les travailleuses domestiques, en France et ailleurs, soient respectées !

Les signataires :

Zita Cabais-Obra, secrétaire générale du syndicat CFDT des assistants maternels et salariés des services à la personne Ile-de-France ; Sylvie Fofana, secrétaire générale du syndicat national des auxiliaires parentales/UNSA-SNAP/SPE ; Mégane Ghorbani, chargée de mission Droits des femmes chez Peuples solidaires – ActionAid France ; Jeanine Kingue Awono, présidente de l’Amicale d’auxiliaire parentale et humanitaire ; Jordyn Pfalzgraf, militante, féministe, écrivaine, professeure de langues et ex-travailleuse domestique ; Serge Weber, enseignant chercheur en géographie, université Paris-Est Marne-la-Vallée.