Tandis que le conflit autour des sites pétroliers, au centre de la contestation du projet de loi travail, se durcit, les difficultés d’approvisionnement des stations-service continuent de s’étendre et le spectre d’une pénurie de carburant grandit.

Le ton est de nouveau monté, mardi 24 mai, entre le gouvernement et la CGT, après l’intervention des forces de l’ordre pour débloquer les accès au dépôt pétrolier et à la raffinerie Exxon Mobil de Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône. Le secrétaire fédéral de la branche pétrole de la CGT, Emmanuel Lépine, a annoncé que les salariés des raffineries d’Exxon Mobil à Fos-sur-Mer et Notre-Dame-de-Gravanchon (Seine-Maritime) avaient voté la grève en réaction à cette opération.

« D’autres sites seront libérés », a promis mardi le premier ministre, Manuel Valls, sur Europe 1, qui a réaffirmé qu’il n’y aurait « pas de retrait » du projet de loi travail. François Hollande a dénoncé de son côté, sur France Culture, le « blocage » des raffineries et dépôts de carburant, « une stratégie portée par une minorité » opposée au projet de loi travail.

A suivre en direct : le live sur les raffineries en grève et la pénurie de carburant

  • Des raffineries à l’arrêt ou au ralenti

Les huit raffineries que compte la France sont à l’arrêt ou tournent au ralenti, selon la CGT, tandis que plusieurs dépôts restaient en grève ou bloqués par des manifestants extérieurs.

Parmi les cinq raffineries hexagonales de Total, Feyzin dans le Rhône et Gonfreville-L’Orcher en Seine-Maritime sont à l’arrêt. Grandpuits (Seine-et-Marne) est en cours d’arrêt total, « quelques unités » ne fonctionnent plus à Donges (Loire-Atlantique) et La Mède (Bouches-du-Rhône) fonctionne « en débit réduit », selon un communiqué du groupe pétrolier.

De son côté, la porte-parole d’Exxon Mobil France, Catherine Brun, a confié à l’agence de presse Reuters que « quelques personnes » avaient rejoint le mouvement à Fos-sur-Mer et Notre-Dame-de-Gravanchon. A Fos-sur-Mer, où les voies d’accès ont été endommagées, « les chargements sont bloqués, mais on ne peut pas dire que la raffinerie est arrêtée », tandis qu’à Gravanchon, « ça n’impacte pas le fonctionnement du site », a-t-elle ajouté.

Selon Emmanuel Lépine, secrétaire fédéral de la branche pétrole de la CGT, la raffinerie Petroineos à Lavera, près de Martigues (Bouches-du-Rhône), est également affectée. Un porte-parole du site n’a pas confirmé l’information.

Loi travail : la carte des raffineries bloquées

La CGT a appelé au blocage des raffineries pétrolières, « étape supplémentaire » dans la lutte des syndicats contre la loi El Khomri de réforme du code du travail. Depuis vendredi 20 mai, plusieurs installations sont empêchées de fonctionner.

  • Le spectre d’une pénurie de carburant

Sur les neuf dépôts pétroliers exploités par Total sur la centaine que compte la France, seuls le dépôt pétrolier de la Côte d’Opale (DPCO) et celui de Valenciennes sont bloqués.

Sur les 2 200 stations du réseau Total, les perturbations sont localisées en Pays de la Loire, Bretagne, Normandie, Hauts-de-France et Ile-de-France avec une extension dans le Centre, Rhône-Alpes, Auvergne et PACA. 188 stations-service sont en rupture totale, 513 en rupture partielle et 101 ont été réquisitionnées par les autorités, selon un communiqué du groupe pétrolier mardi à la mi-journée.

Selon les chiffres du ministre des transports, Alain Vidalies, mardi matin, près de 2 200 stations essence sont en manque de carburant voire à sec sur l’ensemble du territoire, soit 20 % des stations essence en France.

Autre menace sur l’approvisionnement en carburant : le personnel des terminaux pétroliers du Havre, qui assure 40 % des importations françaises, a voté la grève à partir de mardi en fin d’après-midi.

  • « Un jeu dangereux »

Le chef de file des députés socialistes, Bruno Le Roux, a déclaré sur LCI que les Français en avaient « marre de la CGT » et que celle-ci devait « mettre de l’ordre » dans ses rangs. Le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, a jugé lors d’un point presse qu’« il n’appartient pas à une centrale syndicale de faire la loi ».

Philippe Martinez a répliqué sur RMC et BFMTV en accusant le gouvernement et Manuel Valls de jouer un « jeu dangereux ». « Nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout pour le retrait du projet de loi », a-t-il dit. « Nous appelons à une généralisation des grèves partout, dans tous les secteurs. » « On n’est pas coupé des salariés (…), les grèves se votent à la majorité », a souligné le leader de la CGT, qui estime que le durcissement des actions intervenait après un manque d’« écoute » et un « refus de débattre ».

L’ex-secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, a imputé la responsabilité de la crise actuelle au gouvernement, qu’il a accusé de faire preuve d’un « autoritarisme effréné ». « C’est le gouvernement qui est à l’origine des hostilités », a déclaré l’ancien dirigeant syndicaliste, qui avait échoué à faire prendre un virage réformiste à la CGT.

Si la réalité sur le terrain n’est pas toujours aussi tranchée que l’affirment, dans une guerre de communication, la CGT d’un côté, les raffineurs et le gouvernement, de l’autre, le spectre d’une pénurie de carburant grandit. Selon le secrétariat d’Etat aux transports, environ 20 % des stations d’essence françaises sont affectées.

  • Total dit vouloir « réviser sérieusement » ses projets d’investissement en France

Le PDG du groupe français Total, Patrick Pouyanné, a déclaré, mardi, que le blocage total ou partiel de cinq des huit raffineries exploitées en France va le conduire à « réviser sérieusement » les investissements prévus pour restructurer le secteur. « C’est quelque part une forme de rupture du pacte qui lie à la fois nos employés et notre entreprise », a estimé M. Pouyanné en marge de l’assemblée générale des actionnaires.

Total avait annoncé, en avril 2015, une importante restructuration de l’activité de raffinage du groupe en France, qui subit depuis des années une forte baisse de ses marges. Il avait aussi précisé que ces mesures s’accompagneraient d’un investissement de 600 millions d’euros dans ses deux raffineries déficitaires de La Mède et de Donges.