Cette semaine, Le Monde des livres vous recommande un roman captivant, entre thriller et road-trip, qui suit quatre enfants des rues sur les routes du Grand Ouest américain, une fresque historique mêlant le destin d’un homme et l’éveil d’une nation pendant la guerre de Sécession, et deux essais, l’un sur le pouvoir émancipateur de la littérature, l’autre sur les femmes sous le Front populaire.

ROMAN NOIR. Dodgers, de Bill Beverly

Universitaire à Washington, Bill Beverly aura attendu ses 50 ans pour faire son entrée en littérature. Dans la cour des grands. Son premier roman, Dodgers, conte le voyage de quatre ados afro-américains de Los Angeles impliqués dans un trafic de drogue, partis tuer un juge dans le Wisconsin. Trois mille kilomètres en voiture, ponctués d’embrouilles, de rencontres et de surprises. Le héros du récit s’appelle East, 15 ans, un enfant des rues qui n’était jusque-là jamais sorti de son quartier. Hors du ghetto, il va se révéler à lui-même.

Dodgers associe deux mythologies propres à la culture américaine : la fuite et la route. Avec un réalisme parfois teinté de lyrisme, Bill Beverly montre comment les réflexes liés à la ségrégation urbaine et raciale se dissolvent à l’épreuve de la mobilité. Dodgers est autant un thriller, un road-trip dans une Amérique désindustrialisée, qu’un portrait en mouvement. Inoubliable. Macha Séry

Seuil

Dodgers, de Bill Beverly, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Samuel Todd, Seuil, « Policiers », 352 p., 19,50 €.

ROMAN. Sécessions, d’Olivier Sebban

Il n’est pas nécessaire d’être Américain pour écrire un bon roman américain. Né à Paris en 1970, Olivier Sebban en apporte la preuve éclatante. Sécessions, son quatrième roman, le premier situé aux Etats-Unis, cavale entre les mains du lecteur comme un troupeau de broncos dans la prairie. Fresque et odyssée solitaire, il raconte la naissance d’un pays, au milieu du XIXe siècle, à travers le destin d’un fuyard coupable du meurtre de son frère, à la suite d’un adultère.

Commencée à Savannah (Géorgie) au milieu des champs de coton, l’errance d’Elijah Delmar va prendre la même direction que celle des esclaves en fuite : le Nord. Elle lui fera traverser tout le pays jusqu’à Chicago et New York et exercer cent métiers. A pied, à cheval ou en steamer, son périple va se déployer au cœur d’une nation en plein éveil, ouverte à toutes les promesses. Traversé par le thème de la culpabilité, ce drame d’une noirceur absolue ne serait rien sans la plume fougueuse et réaliste d’Olivier Sebban. Ses descriptions de scènes collectives sont des moments de bravoure. Frédéric Potet

Rivages

Sécessions, d’Olivier Sebban, Rivages, 350 p., 20 €.

ESSAI. La République de l’imagination, d’Azar Nafisi

Plus de dix ans après le succès mondial de Lire Lolita à Téhéran, Azar Nafisi s’interroge sur le statut de la littérature en Occident, et sur la « difficulté à accepter de faire face à la vie » qui en serait la cause. En réponse, elle offre 400 pages lumineuses et fourmillantes d’exemples pour nous convaincre du formidable pouvoir émancipateur des textes. On se libère en regardant « avec des yeux tout propres » (Tolstoï) des choses qu’on ne voudrait pas voir, explique-t-elle.

« Quand, à la fin de L’Attrape-cœurs (Salinger), Holden Caulfield, qui croit avoir trouvé un endroit tranquille, le revoit couvert d’un graffiti “va te faire foutre”, cela le rend malade. » « C’est tout le problème, écrit Salinger. On ne peut jamais trouver un endroit chouette et paisible, parce qu’il n’y en a pas. » On pense l’avoir trouvé et « quelqu’un s’amène en douce et écrit “va te faire foutre” sous votre nez ». Ce quelqu’un, c’est souvent l’écrivain. Un jour, on comprend qu’il faut l’en remercier. Florence Noiville

JC Lattès

La République de l’imagination (The Republic of Imagination), d’Azar Nafisi, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Hélène Dumas, JC Lattès, 414 p., 22,50 €.

ESSAI. L’Espoir brisé. 1936, les femmes et le Front populaire, de Louis-Pascal Jacquemond

L’historien Louis-Pascal Jacquemond se donne une double tâche dans L’Espoir brisé : raconter à la fois ce que fut la vie des femmes au temps du Front populaire et en quoi l’action du gouvernement a changé leur vie.

Première synthèse de ce genre, qui n’oublie pas les « femmes invisibles » que sont à l’époque les paysannes, les colonisées et les immigrées, ou encore celles qui travaillent à domicile, l’ouvrage prend soin d’incarner les situations à travers des parcours et des portraits.

De lecture aisée, il s’attache à souligner à quel point le bilan est délicat, tant s’accumulent les avancées, les désillusions et les paradoxes. On mettra au nombre des grosses déceptions le droit de vote des femmes, que le président du conseil Léon Blum, essentiellement pour ne pas remettre en cause l’accord avec les radicaux, ne défend pas jusqu’au bout.

En revanche, les femmes obtiennent, avec les accords Matignon, le droit de choisir leurs représentants et d’être élues. Elles se syndiquent massivement et participent aux grèves. Une nouvelle génération sort de cette époque féconde, celle de la Résistance. Le mouvement de l’histoire effacera bientôt le souvenir de ce rendez-vous manqué. Julie Clarini

Belin

L’Espoir brisé. 1936, les femmes et le Front populaire, de Louis-Pascal Jacquemond, Belin, 480 p., 23 €.