Philippe Herreweghe dirige le Collegium Vocale de Gand. | France télévision

Qui demanderait au premier venu s’il connaît le nom de Roland de Lassus (1532-1594) se verrait probablement opposer un mutisme stupéfait. Pourtant, le compositeur fut le Bach, le Mozart ou le Beethoven de l’Europe de son temps, le génie le plus admiré par ses pairs au XVIe siècle.

Lassus – qui se fait aussi appeler Orlando di Lasso, à la mode italienne – fait partie de ce qu’on a appelé l’école franco-flamande, qui mena à sa sophistication la plus haute la polyphonie issue du contrepoint, que cela soit dans le domaine profane de la chanson (sérieuse ou à boire, paillarde, voire érotique), du madrigal italien ou dans celui, religieux, du motet et de la messe.

Orlande de Lassus - Lagrime di San Pietro: I. Il magnanimo Pietro
Durée : 02:34

Le compositeur a illustré tous ces genres de la plus brillante façon. Mais, parvenu à la fin de sa vie, l’homme, âgé de 62 ans, qui avait souffert d’une grave dépression et s’était tourné vers la piété à l’approche de la mort, écrivit son chant du cygne, Lagrime di San Pietro (« Les Larmes de saint Pierre »). Il termina trois semaines avant l’hora mortis ce cycle de madrigaux spirituels dont il fit dédicace au pape Clément VIII : « J’espère que vous prendrez plaisir à écouter ma musique, non pas pour elle-même, mais pour le sujet dont elle parle, saint Pierre, le premier d’entre les apôtres de qui vous êtes le vrai et légitime successeur. »

Les Larmes de saint Pierre sont de la musique sacrée mais non liturgique. Le recueil, qui doit de préférence être chanté par des solistes – solution choisie par Philippe Herreweghe pour ce concert –, exige des auditeurs à la hauteur des interprètes, de l’attention à la mesure des intentions.

Le chiffre de la souffrance

C’est la raison pour laquelle le chef belge dit assez justement, dans un court entretien avant le concert, de ce sommet de la musique de la Renaissance que « si l’on ne comprend pas le texte, qui est écrit dans un italien assez complexe, on perd 70 % de la musique également ».

Orlande de Lassus - Lagrime di San Pietro: XVII. A quanti già felici
Durée : 02:43

Réalisée par Roberto Maria Grassi à l’Oratoire du Louvre, à Paris, cette captation du très beau concert donné par les solistes du Collegium Vocale de Gand ­(l’ensemble légendaire fondé en 1970 par Herreweghe) fournit en incrustation à l’écran la traduction de ces textes du poète italien Luigi Tansillo (1510-1568). Textes écrits sous l’égide esthétique du néo-pétrarquisme, : une tendance qui allait faire du poète Pétrarque (1304-1374) la référence de multiples épigones, en Italie et en France, jusqu’au milieu du XVIe siècle.

Le recueil, qui évoque dès le premier poème le lâche reniement de Pierre, est placé sous le sceau du chiffre 7 : écrites pour sept parties vocales, Les Larmes de saint Pierre comprennent 21 parties – un multiple de 7 – constituées de 20 madrigaux spirituels et d’un motet conclusif (en latin). Ce chiffre est considéré comme « le symbole de la souffrance (…) et la majorité des compositions à sept voix ou comportant sept parties évoquent la souffrance et le deuil », selon Ignace Bossuyt, professeur à l’Université catholique de Louvain.

Orlande de Lassus - Lagrime di San Pietro: XXI. Vide homo
Durée : 04:03

Les Larmes de saint Pierre, de Roland de Lassus, réalisation de Roberto Maria Grassi (Fr., 2016, 65 min). Par les solistes du Collegium Vocale de Gand – Dorothee Mields et Barbora Kabatkova (sopranos), Benedict Hymas (alto), Thomas Hobbs et Tore Denys (ténors), Benoît Arnould (baryton) et Jimmy Holliday (basse) –, Philippe Herreweghe (direction).

Les Larmes de Saint-Pierre par le Collegium vocale Gent, direction P. Herreweghe
Durée : 57:34