Rafael Nadal, pendant sa conférence de presse à Paris, le 27 mai. | Michel Euler / AP

L’annonce a pris tout le monde de court dans les couloirs de Roland-Garros, vendredi 27 mai, en milieu d’après-midi : « Rafael Nadal donnera une conférence de presse à 16 h 45. » Aussitôt, une nuée de journalistes interloqués désertent les salles de presse, bientôt rejoints par leurs confrères assis dans les tribunes du central, qui délaissent sur-le-champ le match opposant Richard Gasquet à Nick Kyrgios. Une conférence de presse inopinée de l’Espagnol à la veille de disputer son troisième tour n’augurait forcément rien de bon. Surtout en présence du directeur du tournoi, Guy Forget, et de l’agent du joueur, Benito Perez Barbadillo.

Le suspense prend fin une dizaine de minutes plus tard. Casquette vissée sur la tête, Rafael Nadal fait son entrée dans la salle d’interview principale du tournoi – aussi encombrée que pour la conférence de presse du vainqueur –, le visage fermé. « Je suis contraint de me retirer de Roland-Garros en raison d’une blessure au poignet que je traîne depuis plusieurs semaines, déclare-t-il, une attelle à l’avant-bras gauche. Ce matin, j’espérais encore gagner le tournoi, mais il me reste cinq matchs pour y parvenir et le médecin m’a dit que c’était impossible, qu’il y avait 100 % de chances que je me casse le poignet. Je ne peux même pas m’entraîner. »

L’Espagnol avait, certes, débarqué à Paris le poignet gauche enserré d’un bandage, mais n’avait pas suscité la moindre inquiétude lors de ses deux premiers tours. Expéditif face à l’Australien Sam Groth (6-1, 6-1, 6-1), le numéro cinq mondial n’avait ensuite pas connu d’alerte contre l’Argentin Facundo Bagnis (6-3, 6-0, 6-3), un match qu’il a précisé avoir joué « sous infiltration ». Une IRM et une échographie plus tard, l’avis médical ne lui laissait pas le choix : le tendon était trop mal en point pour se risquer à disputer une rencontre de plus.

« Aujourd’hui, devoir me retirer du tournoi le plus important de ma carrière, c’est une décision très, très difficile pour moi. C’est probablement ma pire conférence de presse », a poursuivi Nadal, qui a ressenti pour la première fois cette douleur en quart de finale du tournoi de Madrid, en mai. Ce qui ne l’avait pas empêché de se hisser jusqu’en demi-finale (battu par Murray), puis de s’aligner au tournoi de Rome, vaincu en quarts par Djokovic.

Une blessure tombe rarement à pic, mais celle-ci survient assurément au plus mauvais moment. Le Majorquin, victorieux en avril à Monte-Carlo puis à Barcelone, affichait un regain de forme. Suffisamment convaincant pour prétendre à nouveau à la victoire porte d’Auteuil, où il courait après son dixième titre. « J’ai travaillé si dur pour retrouver mon niveau de jeu, et j’y étais arrivé. Depuis un mois et demi, je jouais à un très haut niveau et je me sentais prêt pour ce tournoi, a déploré Nadal, à la fois fataliste et optimiste sur la suite de sa carrière. C’est la vie. C’est un moment difficile, mais ce n’est pas la fin. »

Longue série

Cette blessure n’est, hélas, que la dernière d’une longue série pour le gaucher, dont le jeu est aussi qu’exigeant physiquement qu’éreintant. Dès 2004, une fracture de fatigue au pied prive l’adolescent de 18 ans d’une première participation à Roland-Garros, lui qui y faisait office d’outsider. A la fin de l’année suivante, de graves problèmes d’appuis lui font craindre une retraite anticipée. L’Espagnol est contraint de porter des semelles orthopédiques et d’alléger ses entraînements. Mais en 2009, ses rotules disent stop : diminué par une tendinite aux deux genoux, il subit la première défaite de sa carrière porte d’Auteuil. Trois ans plus tard, à Wimbledon, le double vainqueur du tournoi est éjecté dès le second tour, à nouveau trahi par ses articulations. Souffrant du syndrome de Hoffa (une inflammation de la masse graisseuse située derrière le tendon rotulien), il observera une convalescence de sept mois… avant de revenir au sommet.

Ces deux dernières années ne l’ont guère plus épargné. Dos bloqué en janvier, blessure au poignet droit à l’été, opération de l’appendicite à l’automne… sa saison 2014 se trouve considérablement tronquée. En 2015, c’est la cheville qui se manifeste, puis à nouveau le pied, mais c’est pourtant d’une « blessure mentale » qu’il dit souffrir le plus. Depuis le début de sa carrière, l’Espagnol s’est habitué aux maux et à triompher malgré eux. Mais son niveau d’engagement et sa pugnacité sont tels que sa carrière s’écrit en pointillé. Et fait dire aux observateurs qu’il ne pourra pas espérer une longévité à la Federer ou Stepanek… « A force de jouer comme ça, Nadal signe des chèques en blanc sur sa santé », avertissait Andre Agassi dès 2007.

« Le tableau se dégage »

Le retrait de la tête de série numéro 4 constitue un nouvel accroc pour le Grand Chelem parisien, qui avait déjà dû enregistrer deux forfaits majeurs avant même les premiers échanges : celui de Roger Federer pour cause de dos douloureux puis de Gaël Monfils, affaibli par une infection virale. Tout en se disant « triste pour Rafa », Guy Forget, le directeur du tournoi, a jugé que Nadal avait pris « une sage décision » plutôt que de risquer d’être éloigné du circuit pendant des mois. « Maintenant, le tournoi continue. Je pense qu’il aurait joué Djokovic en demi-finale. Cela dégage un peu le tableau pour certains joueurs. » A commencer, donc, par le numéro un mondial, Novak Djokovic, dont l’horizon jusqu’à la finale est désormais totalement éclairci. L’abandon de Nadal devrait aussi profiter à l’Autrichien Dominic Thiem ainsi qu’à Jo-Wilfried Tsonga, tous deux sur son chemin.

« On le sentait en forme. Pour moi, il était capable de gagner. C’est une perte énorme pour le tournoi, a réagi Richard Gasquet, qui s’est défait en trois sets du fougueux Australien Nick Kyrgios. J’espère qu’il va se rétablir le plus vite possible. » Contraint d’immobiliser son poignet, l’Espagnol sera tenu éloigné des terrains pendant plusieurs semaines. Sera-t-il remis à temps pour Wimbledon (27 juin-10 juillet) ? Lui veut y croire : « Je vais tout faire pour être prêt. »