• Georges Aperghis
    Tourbillons. Récitations

    Donatienne Michel-Dansac (soprano)

Pochette de l’album « Tourbillons et récitations », de Georges Aperghis. | UMLAUT RECORDS/SOCADISC

Monologues monomaniaques, soliloques solunaires, les cycles de pièces pour voix seule de Georges Aperghis (né en 1945) donnent envie de jouer avec les mots comme le compositeur lui-même le fait en amont d’une chaîne de beaux parleurs qui, dans Tourbillons (1989-1992), passe par la bande théâtrale d’Olivier Cadiot avant de connaître une foule d’accents toniques par la grâce d’une interprète aux multiples visages. Donatienne Michel-Dansac donne l’impression d’être une troupe de comédiens à elle seule… Une artiste de cirque capable de toutes les figures imaginables le long du tissu vocal, une hybridation de l’oiseau lyrique et de la grue des marchés populaires. Elle chante, rit, siffle et émet des sons aussi difficiles à produire qu’à définir. Dans « ses » Récitations (référence du théâtre musical, dont elle a enregistré une version complète en 2007 pour le label Col Legno) comme dans ces Tourbillons inédits (sans la vidéo du spectacle), elle s’impose en prêtresse d’un rite Aperghis qui devrait susciter autant de conversions que d’écoutes. Pierre Gervasoni

2 CD Umlaut Records/Socadisc.

  • Robert Glasper
    Everything’s Beautiful

Pochette de l’album « Everything’s Beautiful », de Robert Glasper. | COLUMBIA LEGACY/SONY MUSIC

Miles Davis par Robert Glasper (pianiste décalé). Ni mix et remix, encore moins « reprises » et certainement pas « relecture » (dandinement, pour citer Breton, « de paon pohétique »), alors quoi ? Tout le génie musical de Robert Glasper – sans son Experiment, ce coup-ci. Et Miles en tous sens et dans toutes les directions, la voix en drapeau. Cette inoubliable voix de corps et âme, pour ceux qui ont eu la chance de l’entendre. Tout part des sons de Miles (sa voix, sa juste voix), largement empruntés à la période dite « électrique », recréés par Erykah Badu (voix soul), Nai Palm, Bilal, King, Hiatus Kaiyote, etc. Miles comme incitation, point de départ et d’arrivée. Fin octobre 1962, la chanson de la semaine (Europe 1, 6 heures) était due à un ado qui chantait d’une voix d’enfant, groovait comme une locomotive et swinguait du feu de Dieu à l’harmonica bluesy. La radio l’appelait « Little Stevie Wonder ». Il est de l’aventure de Glasper. Plus du tout Little, il résume Everything’s Beautiful. Pure merveille. Francis Marmande

1 CD Columbia Legacy/Sony Music.

  • $-Crew
    Destins liés

Pochette de l’album « Destins liés », de $-Crew. | SEINE ZOO RECORDS/POLYDOR

Un an après la sortie de son premier album, le rappeur Nekfeu est de retour avec le disque de son groupe, $-Crew. Comme les autres membres de son collectif, L’Entourage, ses trois amis d’enfance sont présents à tous ses concerts, sur scène. Les raps de Mekra, 2zer et Framal n’avaient pas forcément convaincu, victimes tout d’abord d’un rejet. Pénible de payer une place de concert pour voir les potes de l’artiste occuper les champs visuel et auditif. Mais Destins Liés est un très bon album de hip-hop. Nekfeu reprend la recette de son succès précédent, Feu, et surtout son meilleur producteur, Hugz Hefner, qui a composé la quasi-totalité des titres à Los Angeles. Sa musique sous codéine est un sirop addictif que déguste la jeunesse française, bombardée d’infos sur les derniers drames, sur les pronostics néfastes de l’avenir. Entre ode à la procrastination, On va le faire, un joli aveu à ses copines, J’aurais pas dû, et un constat amer sur l’engagement, Nekfeu et ses potes ont gagné leur pari : réussir ensemble. Stéphanie Binet

1 CD Seine Zoo Records/Polydor.

  • Carla Bley, Andy Sheppard, Steve Swallow
    Andando el Tiempo

Pochette de l’album « Andando el Tiempo », de Carla Bley, Andy Sheppard et Steve Swallow. | ECM

Comme tout ce qui émane de Carla Bley ou tout ce qui émanait de son premier compagnon, Paul Bley (1932-2016), l’amour, la fidélité et la précision musicale sont ce qui règle l’aventure. Son premier album pour ECM alignait les compositions les plus connues de la pianiste. Ici, pour le deuxième, les partitions sont inédites et le trio est au sommet : Andy Sheppard, l’autre voix des orchestres de Carla Bley, reconnaissable entre mille, spécialement chez elle (sax ténor et soprano), et l’alter ego actuel, Steve Swallow, basse élégante autant qu’exacte. Très involontairement à contre-courant de tout ce qui marche aujourd’hui – notamment l’esbroufe et le truqueur –, la musique des groupes de Carla Bley poursuit la route de son plaisir sans se demander s’il s’agit d’avant-garde ou de pure délicatesse. Un jour, on s’étonnera que cela ait pu porter le nom de jazz et que le nom de jazz ait pu ne pas se résumer à cela. F. M.

1 CD ECM.

  • Barbara Furtuna
    D’Anima

Pochette de l’album « D’Anima », de Barbara Furtuna. | DECCA/UNIVERSAL MUSIC

Les consonances du nom sont trompeuses : Barbara Furtuna désigne un quatuor vocal masculin, fondé il y a une quinzaine d’années dans le village de Poghju d’Oletta, non loin du golfe de Saint-Florent, en Corse. Jean-Philippe Guissani, Maxime Merlandi, Jean-Pierre Marchetti et André Dominici chantent de la polyphonie, le plus souvent orchestrée sur ce quatrième album (brumes de violons, traits de violoncelle, guitare et mandole, percussions). Les voix vibrent et enchantent, s’enflamment ou restent sobres dans l’expressivité. Ancré dans l’héritage de la polyphonie corse, Barbara Furtuna s’inscrit dans une idée d’ouverture et de contemporanéité, donnant à son répertoire une identité originale. L’ensemble reprend ou détourne des thèmes traditionnels, tels que l’emblématique Lamentu di u Castagnu, écrit par Anton Battista Paoli (1858-1931), ou Un Ghjornu, un chant de Noël composé par Nicolas Saboly (1614-1675), et revisite ses propres compositions, leur donnant une couleur nouvelle. Parmi les moments les plus séduisants de ce bel album, on retiendra le court mais envoûtant Goccia à Goccia et son message d’espoir : « Goccia à goccia, goccia à goccia/Sò tutti l’omi chì pianu si movenu è venenu à suminà/A fede nova chì cerca è chì prova à fà cresce l’umanità » (Peu à peu, pas à pas/Les hommes avancent et sèment des idées nouvelles/pour faire grandir l’humanité). Patrick Labesse

1 CD Decca/Universal Music.