Des partisans de Karim Wade manifestent à Dakar en février 2015. | SEYLLOU/AFP

Décidément, le destin de Karim Wade, fils de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade (2000-2012), ne laisse personne indifférent. Son arrestation en avril 2013 avait déchaîné les passions. Son procès a tenu le pays en haleine pendant dix-huit mois. Son jugement, en mars 2015, était une première dans le pays : six ans d’emprisonnement et 210 millions d’euros d’amende pour « enrichissement illicite ». Désormais, c’est sur sa remise en liberté que se déchire la classe politique sénégalaise.

L’annonce est venue du président Macky Sall en personne. « La libération aura certainement lieu avant la fin de l’année », a-t-il déclaré sur les ondes de RFI le 2 juin. Une annonce confirmée une semaine plus tard lors d’une visite présidentielle dans les villes religieuses de Touba et de Tivaouane. Le détenu devrait être libéré « très prochainement », a confié le chef de l’Etat aux différents khalifes.

Karim Wade, 47 ans aujourd’hui, surnommé à l’époque de sa splendeur « ministre du ciel et de la terre », a connu un parcours ministériel fulgurant, enchaînant les portefeuilles : coopération internationale, aménagement du territoire, transports aériens, infrastructures… Deux jours avant sa condamnation, le 23 mars 2015, par une juridiction spéciale dénommée Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), il a été désigné candidat de la principale formation de l’opposition, le Parti démocratique sénégalais (PDS), pour la prochaine présidentielle prévue en 2019. La perspective de cette échéance donne à sa libération un tour très politique.

  • Pour le Parti socialiste, membre de la coalition au pouvoir Benno Bokk Yaakaar (BBY), l’élargissement de Karim Wade ne semble pas poser problème. Le PS s’est fendu d’un communiqué dans lequel il souligne que le droit de grâce est une prérogative du chef de l’Etat. « Si quelqu’un est dans les liens de la détention, après épuisement total de la procédure et que le président de la République veut le gracier, il peut le faire sans que le détenu en soit demandeur. La grâce appartient exclusivement au président de la République et il n’y a pas de conditions préalables », souligne le PS.
  • Chef de l’Alliance des forces du progrès (AFP), également membre de BBY, Moustapha Niasse, président de l’Assemblée nationale, se dit lui aussi en phase avec la décision du président Sall de « décrisper et apaiser le climat politique ». Il s’exprimait le 16 juin en marge d’une rencontre pour définir l’agenda du Parlement avant la clôture de la session.
  • Bien que favorable à la libération de Karim Wade, le Parti de l’indépendance et du travail (PIT) craint toutefois que le fils de l’ancien président ne soit amnistié. « Il ne faut pas prendre les Sénégalais pour des demeurés. On ne peut pas condamner un citoyen, saisir ses biens et vouloir le laver un beau jour. Cela voudrait dire que Karim n’était pas fautif », a déclaré Ibrahima Séne, chargé des questions politiques du PIT.

    Rappelant que la grâce relève du chef de l’Etat et l’amnistie de l’Assemblée nationale, le PIT, membre lui aussi de la coalition au pouvoir, promet de combattre le régime du président Sall si l’Assemblée nationale est saisie d’un tel projet. « On ne peut pas porter un pareil affront à la justice sénégalaise », pestait Ibrahima Séne, joint par Le Monde Afrique.
  • La ligue démocratique (LD) quant à elle n’est ni pour une grâce, ni pour une amnistie. Mamadou Ndoye, secrétaire général de la LD qui s’exprimait le 18 juin sur la radio Futurs Médias, estime que « Karim Wade doit purger l’intégralité de sa peine. Sinon, ce sera un très mauvais message politique envoyé à tous les gens qui seraient tentés d’aller vers le détournement de deniers publics et la corruption ».
  • Pour Malick Noël Seck, leader du Front national de salut public/Mom sa rew, la question ne saurait se résumer à un « pour ou contre » ? Dans cette affaire, regrette-il, les Sénégalais se sentent piégés parce que plusieurs étaient contre le recours à la CREI.

    Certaines dispositions légales de la CREI, créée en juillet 1981, notamment le renversement de la charge de preuve et le manque de recours d’appel à une juridiction de second degré, ont soulevé de vives polémiques. Le PDS, les conseils de Karim Wade et plusieurs cercles intellectuels, ont récusé la CREI.

    « Ce n’est pas normal de réveiller une Cour à coups de milliards pour finir ainsi, cela montre que la justice au Sénégal n’est pas indépendante et que nous ne sommes pas dans une République. De toute façon, ce procès ne m’a jamais convaincu, on ne peut pas mettre quelqu’un en prison sans preuves », explique Malick Noël Seck.

    Leader politique éjecté en 2012 des rangs du PS pour avoir critiqué les échecs répétitifs du parti aux présidentielles depuis 2000, Malick Noël Seck argue que libérer Karim Wade mettra fin à tout ce qui est « transparence » et « gestion vertueuse » au Sénégal. Il est important de rappeler, selon lui, que « le président Macky Sall lui-même a déclaré qu’il disposait d’un patrimoine de 8 milliards de francs CFA qu’il n’arrive toujours pas à justifier d’ailleurs, se targuant simplement que c’est le président Abdoulaye Wade qui lui a offert cet argent. En clair, Macky Sall est indissociable de Karim Wade et en libérant Karim, il se libère lui-même ainsi que tous ceux qui ont volé de l’argent à ce pays », conclut Malick Noël Seck.
  • Chef du parti REWMI, Idrissa Seck, ancien premier ministre, voit dans cette libération un « deal » entre le président Abdoulaye Wade et Macky Sall. Selon lui, c’est le « dialogue national », organisé le 28 mai au Palais de la République, qui aurait servi de prétexte au président Sall et à Abdoulaye Wade pour justifier la libération de son fils Karim. Un dialogue auquel le parti REWMI a refusé de participer.

S’il est libéré à temps, Karim Wade pourra-t-il faire campagne ? Légalement, oui. Le jour même de sa condamnation par la CREI, le ministre de la justice Sidiki Kaba avait affirmé que la Cour spéciale écartait « l’interdiction de l’exercice des droits civiques, civils et de famille prévus par l’article 34 du Code pénal ». Karim Wade reste donc présidentiable.