Sherlock Holmes (Benedict Cumberbatch) et, au fond, le professeur Moriarty (Andrew Scott). | ROBERT VIGLASKY

Cet article dévoile des éléments-clés de l’intrigue de l’épisode spécial de la série « Sherlock », L’Effroyable Mariée, diffusé le 19 mai sur France 4 et visible en replay sur Francetv pluzz.

Revendicatif et féministe, le dernier épisode de « Sherlock » ? Ou, au contraire, maladroit et paternaliste ? La question a agité les fans britanniques de la série après la diffusion, le 1er janvier, de The Abominable Bride – diffusé par France 4 sous le titre L’effroyable mariée. Un épisode spécial, prélude à la quatrième saison prévue pour le début de 2017, qui propose une promenade dans le temps et dans le subconscient de Sherlock Holmes. Plongé dans un passé alternatif, Sherlock y découvre notamment une étrange conspiration d’une société secrète de femmes qui tuent les maris violents…

Pour en débattre, Pixels avait convié, en partenariat avec France 4, deux spécialistes de Sherlock Holmes à l’avant-première de L’Effroyable Mariée : Natacha Levet, maître de conférences à l’université de Limoges et autrice de Sherlock Holmes, de Baker Street au grand écran, et Fabienne Courouge, de la Société Sherlock Holmes.

Présence féminine discrète

Fabienne Courouge se revendique féministe et n’a pas caché une certaine déception après le visionnage de l’épisode. « L’intention est là : on voit dans cet épisode des femmes empêchées par la société de développer tout leur potentiel, mais cela finit en mélange des genres, avec des femmes habillées comme des membres du Ku Klux Klan pour se venger d’hommes indélicats. » Natacha Levet y voit, elle, surtout un mélange de références et de codes, qui fait que L’Effroyable Mariée se prend à son propre piège, et donne « une vision d’un féminisme guerrier et vengeur ».

Pourtant, l’épisode se présente, à de multiples reprises, comme une forme d’excuses publiques quant au traitement des personnages féminins dans la série – lui aussi objet de nombreuses critiques dans les précédentes saisons.

Ainsi Mme Hudson, la propriétaire de Sherlock et Watson, s’offusque du fait qu’elle n’ait jamais la parole dans les récits du docteur, s’écriant : « Je ne suis pas un artifice narratif ! »

« Dans la première saison de la série, les femmes ont une présence qu’on peut qualifier pudiquement de discrète, note Natacha Levet. Ce n’était pas une préoccupation des scénaristes au départ, mais au fur et à mesure, le travail sur les personnages féminins a progressé, jusqu’à cet épisode. »

Dans le canon – les œuvres originales de Conan Doyle –, les personnages féminins n’étaient, déjà, que rarement complexes, reflets d’une Angleterre victorienne très patriarcale.

Travail sur la question du genre

« Dans les romans et les nouvelles, il y a tout un éventail de femmes qui vont de la demoiselle en détresse à la criminelle, rappelle Fabienne Courouge. Sherlock dit des choses sexistes, mais il y a ce qu’il dit, ce qu’il fait, et ce qui s’en dégage, et ce sont trois messages différents. Il dit aussi de Marie, la femme de Watson, qu’elle est un génie. Il ne dit jamais rien d’aussi positif d’un homme dans l’ensemble du canon. »

Cette base canonique, Steven Moffat et Mark Gatiss, les scénaristes de la série, s’en sont finalement plutôt éloignés pour créer les personnages féminins. En en étoffant certains (Mme Hudson), en en créant d’autres (la médecin légiste Molly Hooper), et en en réécrivant largement quelques-uns, notamment Irene Adler, l’impitoyable manipulatrice qui finit – hérésie pour les puristes – par tomber amoureuse et appeler Sherlock au secours.

« A part Conan Doyle, personne n’a su résister à la tentation d’introduire de la romance entre ces deux personnages », note Natacha Levet. Or, « si le désir n’est pas perturbant, la romance fait basculer le récit dans les stéréotypes ».

Alors, féministe, quand même, L’Effroyable Mariée ? Cela n’est pas aussi simple. « Moffat et Gatiss ont surtout travaillé sur la question du genre, en déconstruisant ce que portent certains rôles masculins, comme l’inspecteur Lestrade, ou en mettant en scène un Sherlock et un Watson qui ne correspondent pas aux images masculines contemporaines », rappelle Mme Levet.

Les « holmesiens » continueront d’en débattre : le « grand jeu », pour les amateurs de Sherlock Holmes, est justement de trouver dans l’œuvre de Conan Doyle des justifications à toutes les interprétations et théories sur son œuvre.