« Baquiya [« permanente »] et en expansion. » Au faîte de la puissance militaire et territoriale de l’organisation Etat islamique, en 2014-2015, dans la foulée de la déclaration de son « califat », ce slogan triomphaliste était répété en boucle par les djihadistes et leurs sympathisants, accompagnant chaque offensive en Irak et en Syrie. « L’expansion » a depuis disparu des éléments de langage.

Affaibli par les frappes aériennes de la coalition, l’EI recule depuis le début de l’année 2016. Après avoir repris aux djihadistes la capitale de la province irakienne d’Al-Anbar, Ramadi, en février, les forces gouvernementales, appuyées par des milices chiites, ont avancé de façon significative sur la rive sud de l’Euphrate en direction de la frontière syrienne. Depuis le 23 mai, elles donnent l’assaut au bastion djihadiste de Fallouja, à 65 km de Bagdad. Pendant ce temps, en Syrie, une coalition arabo-kurde, appuyée par Washington, veut chasser l’EI du nord de la province septentrionale de Rakka, son fief dans ce pays.

Enfin, en Libye, l’étau se resserre autour de la bande de territoire contrôlée par le mouvement djihadiste autour de la ville de Syrte, l’ancien fief de Mouammar Kadhafi, qu’il contrôle depuis février 2015, et aujourd’hui attaqué sur ses deux flancs – ouest et est – par les factions militaires libyennes.

Capacité de rebond

Confrontée à cette nouvelle réalité, l’organisation cherche à relativiser ses récents revers : « Nous ne combattons pas pour défendre une terre, ni pour la libérer ou la contrôler », affirme Abou Mohammed Al-Adnani Al-Shami, le porte-parole de l’EI, dans un discours audio diffusé le 22 mai par l’organisation. « Nous ne combattons pas pour [exercer] l’autorité ou pour des positions éphémères ou obsolètes », ajoute-t-il. Une dimension messianique qui a toujours accompagné les messages du groupe, mais qui est très loin des déclarations qui avaient suivi l’établissement du « califat », en juin 2014, quand le projet territorial et étatique de l’EI était fortement mis en avant pour renforcer l’attractivité du mouvement djihadiste.

Les forces irakiennes avancent vers Fallouja pour libérer la ville de l’Etat islamique
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Cet aveu de faiblesse est inhabituel de la part de l’organisation, qui admet ainsi implicitement un reflux sur les champs de bataille et renonce à son aura d’invincibilité. Le groupe semble préparer ses troupes à d’autres revers, même si le propos de son porte-parole se veut combatif :

« Considérez-vous, Américains, que la défaite réside dans la perte d’une ville ou d’un territoire ? Avons-nous été défaits quand nous avons perdu des villes en Irak, quand nous étions dans le désert sans ville et sans territoire ? Pensez-vous que vous serez victorieux et que nous serons défaits si vous prenez Mossoul, Syrte ou Rakka et même toutes les villes, et que nous retournons à notre condition initiale ? Sûrement pas ! »

Le chef djihadiste prend acte du fait que la perte de l’une ou de ses trois « capitales » – irakienne, syrienne et libyenne – relève du possible. Même si la référence au recul du groupe en Irak, en 2008-2011, évoque la capacité qu’a eue l’organisation à renaître plusieurs fois de ses cendres, comme après la mort de son inspirateur Abou Moussab Al-Zarkaoui, en juin 2006.

« Vous êtes venus [à cette époque] en Irak par dizaines, ou plutôt des centaines de milliers ; nous n’étions que quelques centaines, ou plutôt des dizaines. »

L’EI est toujours capable d’initiative

Si défaite il y a, elle ne sera pas stratégique, veut croire l’EI. D’autant que l’organisation pourrait tirer argument, en Irak et en Syrie, de la nature confessionnelle ou ethnique de certains de ses adversaires : des milices chiites appuyées par l’Iran à Fallouja, et les Forces démocratiques syriennes, majoritairement kurdes, à Rakka. Deux camps qui sont régulièrement accusés d’exactions à l’égard des populations sunnites ou arabes. « La composition des forces qui mènent les combats dans ces deux villes arabes sunnites intensifie les tensions sectaires et ethniques et pourrait, au final, aider l’EI à regagner en légitimité en tant que défenseur des sunnites – même s’il cède du territoire », estime ainsi l’analyste syrien Hassan Hassan, coauteur de EI, au cœur de l’armée de la terreur (Hugo Doc).

La perte de Palmyre, reprise par les forces gouvernementales syriennes avec l’aide de l’aviation russe en mars, a été suivie d’une attaque surprise de l’organisation dans la région de Damas

Malgré la mort, ces derniers mois, de plusieurs dizaines de cadres et de commandants militaires, l’EI reste également capable d’initiative. La perte de Palmyre, reprise par les forces gouvernementales syriennes avec l’aide de l’aviation russe, en mars, a été suivie d’une attaque surprise de l’organisation dans la région de Damas, et une pression accrue sur l’enclave gouvernementale de Deir ez-Zor, dans l’Est.

A l’offensive kurde sur Rakka répond aujourd’hui une percée djihadiste au nord d’Alep. Des djihadistes qui, en Irak, ont repris pied ces dernières quarante-huit heures dans plusieurs quartiers de la ville de Hit, dans la province d’Al-Anbar, d’où ils avaient été chassés en avril.

« Diversion »

Et l’organisation ne cache pas sa volonté de continuer à frapper en Europe, en s’appuyant sur ses sympathisants. Lesquels ont de plus en plus de mal à la rejoindre en Irak et en Syrie – les « apostats » ont fermé « les portes de la hijra [émigration] vers le califat », reconnaît son porte-parole – et qu’elle appelle désormais à frapper sur place : « Ouvrez-leur les portes du djihad au visage ».

« Daech (acronyme arabe de l’EI) se trouve dans une situation qui l’amènera à essayer de frapper le plus rapidement possible et le plus fort possible : l’organisation rencontre des difficultés militaires sur le terrain, et va donc vouloir faire diversion et se venger des frappes de la coalition », a prévenu Patrick Calvar, le patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) française, auditionné le 10 mai par la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, en ajoutant « que la France est clairement visée ».

En Irak et en Syrie, cette surenchère terroriste est déjà à l’œuvre : le rythme du nombre d’attentats-suicides se maintient à un niveau élevé – entre 50 et 100 par mois depuis la fin 2015. Les attaques coordonnées du 23 mai dans les villes syriennes majoritairement alaouites de Tartous et de Jableh, et la vague d’attentats-suicides qui a frappé Bagdad en mai, montrent la détermination et la capacité du groupe djihadiste à frapper au cœur des bastions de ses ennemis.