Des supporteurs polonais, jeudi 16 juin, au Stade de France, à l’occasion du match Allemagne-Pologne. | Charles Platiau/Reuters

Le hasard du tirage au sort a voulu que les deux pays coorganisateurs du dernier Euro s’affrontent dès la phase de poules. L’occasion de raviver des souvenirs de 2012 et de se poser la question de l’héritage de ce premier méga événement sportif accueilli en Europe centrale et orientale.

Inutile de tourner autour du pot : en matière d’image de marque, le bilan est maigre. La recherche de terrain – comme celle menée par Alexandra Schwell (Université de Vienne) et Michal Buchowski (Université européenne Viadrina) – démontre que, certes, l’Euro a affaibli certains préjugés aussi grossiers que tenaces chez ceux qui se sont rendus en Pologne et en Ukraine pour assister aux matches. On le sait bien, rien ne vaut la rencontre personnelle et la curiosité réciproque, même superficielle et dans un anglais approximatif des deux côtés. La grande majorité des supporteurs occidentaux qui étaient sur place ont saisi l’occasion de réviser leurs stéréotypes. C’est déjà ça.

L’idée du grand événement sportif comme vecteur du fameux « soft power » relève un peu du mythe

Mais depuis, dans la perception occidentale, l’Ukraine est simplement le théâtre d’une guerre civile dont on se serait bien passé, et la Pologne est redevenue ce pays ultra-conservateur et ultra-catholique qui se plaît à fustiger la décadence de l’Ouest. L’idée du grand événement sportif comme vecteur du fameux « soft power », même si elle plaît beaucoup aux décideurs politiques, relève un peu du mythe. Même un tournoi globalement réussi, bien organisé et de bon niveau sportif n’a guère d’impact durable, et se trouve vite éclipsé par d’autres actualités, d’autres images. (L’organisation ratée d’un événement morne et ennuyeux, en revanche, laissera à coup sûr des traces négatives sur la réputation du pays hôte.)

S’il n’y a donc peu ou pas de gain de prestige à l’extérieur, que reste-t-il de ces beaux jours de l’été 2012 à l’intérieur des pays et des villes concernés ?

L’Euro 2012 semble en effet avoir laissé une empreinte, notamment en Pologne, et ce au-delà de quatre beaux stades flambant neufs et quelque peu surdimensionnés pour le quotidien de la « Ekstraklasa », la première division polonaise. Mais cette empreinte n’est peut-être pas celle que souhaitait l’élite politique et technocratique du pays, toujours prompte à vanter le potentiel économique et le rayonnement escompté d’un tel événement coûteux.

A Poznan, la société civile locale renforcée

Dans une enquête de terrain méticuleuse et approfondie, la jeune anthropologue Malgorzata Kowalska (Université Adam Mickiewicz) a étudié le cas de sa propre ville, Poznan, l’une des quatre villes hôtes polonaises. Dans sa recherche, elle a dégagé à quel point, durant toute la phase de candidature et de préparation de l’Euro, l’événement a été imposé par une pensée unique de type néolibéral, intériorisée par la classe dirigeante et le patronat issus de la phase de transformation postcommuniste. Toute critique ou vision alternative quant aux priorités du développement urbain ont vite été discréditées comme « arriérées », « politiciennes », ou « irrationnelles ».

L’événement a paradoxalement contribué à délégitimer la rhétorique néolibérale qui l’avait rendu possible

Or, contrairement aux attentes, l’Euro – qui s’est déroulé de manière tout à fait sympathique à Poznan, avec des visiteurs croates, espagnols et irlandais bon enfant – n’a pas étouffé ou endormi le débat politique dans la société civile locale. Il l’a ranimé – et bonifié – car il a permis de poser les bonnes questions sur la forme de « démocratie capitaliste » qui convenait le mieux à cette ville. L’événement a ainsi paradoxalement contribué à délégitimer la rhétorique qui l’avait rendu possible dans un premier temps. Il a défié l’idée selon laquelle les intérêts des grandes entreprises sont les intérêts de la ville, et il a mis au premier plan les questions du développement durable et de la responsabilité sociale.

Dès 2012, le conseil municipal de Poznan s’est prononcé contre une candidature pour les Jeux olympiques de la jeunesse de 2018, une décision qui n’a pas été sans influer sur le vote des habitants de Cracovie, en 2014, contre une candidature aux Jeux olympiques d’hiver de 2022. Enfin, en automne 2014, le maire Ryszard Grobelny, en poste depuis seize ans, a été remplacé par une opposition issue de la société civile urbaine, alors qu’il venait d’offrir à la ville le prestige de l’Euro 2012.

C’est une étude de cas peut-être particulière, ancrée dans son contexte local, mais riche en enseignements et basée sur un travail ethnographique de longue haleine. A mettre sans réserve entre les mains des municipalités désireuses de grandeur et des comités exécutifs des grandes fédérations sportives.