Il y a des « supergendarmes » comme il y a de « grands flics », et le général Denis Favier en est un. A 57 ans, le directeur général de la gendarmerie nationale quittera son poste le 1er septembre pour rejoindre Total, où il dirigera la sûreté de la quatrième compagnie pétrolière mondiale, selon La lettre de l’Expansion. Si ce départ est une surprise, la primeur de cette annonce réservée à ses troupes n’en est pas une de la part d’un officier supérieur réputé proche des 125 000 hommes et femmes de la gendarmerie. Il devrait être remplacé par le général Richard Lizurey, actuel major général, sur proposition de Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur.

Présent dans 130 pays, où la situation est parfois très instable, le géant pétrolier veut adapter son dispositif de sécurité aux nouvelles menaces. « Patrick Pouyanné attache le plus grand prix à la sûreté du personnel et a considéré que dans les troubles géopolitiques auxquels est confronté le groupe, il était très utile de s’attacher les services d’un très grand professionnel dans ce domaine de la sûreté », indique un porte-parole du PDG de Total.

Dans ce contexte, M. Favier est une recrue de choix. La carrière de ce diplômé de l’école de Saint-Cyr révèle aussi bien un homme de terrain qu’un homme de dossiers, qu’il s’agisse des ressources humaines ou de la restructuration des unités d’élite. Gendarme depuis 1984, il est sorti de l’ombre le 26 décembre 1994 : ce jour-là, à la tête du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), c’est lui qui coordonne et mène l’assaut de l’Airbus d’Air France détourné par des islamistes algériens sur l’aéroport de Marseille-Marignane. Une opération qui permet de libérer 173 otages sains et saufs et qui restera comme un exemple de maîtrise et de professionnalisme.

« Les risques géopolitiques sont nombreux »

Patron de la gendarmerie en Ile-de-France, il entre dès mai 2012 au cabinet du ministre de l’intérieur Manuel Valls, avant d’être nommé patron de la gendarmerie en avril 2013, et promu général d’armée. Il y défendra sa « maison » en réclamant plus de moyens... qu’il obtient en partie de M. Valls, dont on le dit proche. Le premier ministre a salué sa « droiture » et sa « loyauté ». Le goût pour l’opérationnel et l’action n’a jamais quitté le général Favier, deux fois patron du GIGN. Il sera ainsi très actif dans la coordination de l’action qui conduira à la mort des frères Kouachi, les deux tueurs de Charlie-Hebdo, le 11 janvier 2015, à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne).

Ses hommes appréciaient aussi son engagement indéfectible auprès d’eux. La mort du militant Rémi Fraisse, tué en octobre 2014 sur le site du barrage de Sivens (Tarn) par une grenade offensive tirée par un gendarme, marque profondément son mandat et le patron des gendarmes lui-même. Mais il défendra ses troupes lors de la violente polémique qui suit cette bavure.

Son arrivée chez Total, une entreprise à la merci d’actes criminels ou terroristes, n’est donc pas fortuite. « Les risques géopolitiques sont nombreux, d’autant que cette instabilité a atteint des niveaux inédits dans le monde et que la chute des cours des hydrocarbures et des matières premières fragilise les pays dans lesquels nous opérons, souligne M. Pouyanné dans la revue L’Actuariel. Pour nous, la sécurité est plus qu’une priorité, c’est une valeur. Cela peut nous amener à décider d’évacuer nos équipes comme nous l’avons fait au Yémen l’année dernière. » Le groupe, ajoute-t-il, reste « en relation permanente avec les services diplomatiques et, si besoin est, avec les forces de défense ».

Trois catégories de risques

Cela fait des années que Total a mis en place une direction centrale chargée de la sûreté (gouvernance, veille et analyse de la menace, protection des patrimoines et des collaborateurs...). La société dispose aussi d’un pôle spécialisé dans la sûreté maritime, ses opérations de production et de transport des hydrocarbures dans des régions comme le golfe de Guinée (Nigéria...) ou le golfe d’Aden (Yémen, Somalie...) étant particulièrement exposées à des attaques de pirates, de rebelles ou de terroristes.

Les principaux risques analysés sur les cinq grandes zones d’opération sont classés en trois catégories : criminels, politico-sociaux et terroristes. Total met régulièrement à jour une carte mondiale des menaces, avec une gradation selon leur intensité. Depuis deux ans, le Yémen est en rouge vif en raison de la présence d’Al-Qaida dans la Péninsule arabique à 50 kilomètres de l’usine de gaz naturel liquéfié (GNL) de Balaf. Total a décidé de suspendre l’extraction du gaz naturel dans cet Etat en plein chaos.