« 45 milliards d’euros (soit le budget de l’éducation nationale ou une fois et demie celui de la défense) partent en fumée chaque année pour payer les déficits passés et font ainsi défaut à une dépense publique, ou privée, utile et tournée vers l’avenir. » | DENIS CHARLET / AFP

Par Bernard Cherlonneix, président de l’Institut pour le renouveau démocratique

Le budget de la France, comme celui de bien d’autres pays, est gravement obéré par le service de la dette… Et force est de constater qu’un désendettement normal par constitution d’excédents budgétaires suffisants pour diminuer le stock de dette publique après paiement des intérêts courants de la dette publique cumulée n’est sérieusement envisagé par aucun homme politique, aucune force politique.

Tous préfèrent glisser le sujet sous le tapis. Il est vrai que la signature d’une France nettement surendettée semble encore satisfaire les créanciers internationaux qui détiennent une part importante de la dette publique et l’État français peut continuer à s’endetter à des conditions qui défient l’entendement, désormais même négatives. Tant que « le service de la dette », grâce à l’administration des taux d’intérêt par l’action concertée des banques centrales, diminue ou ne s’alourdit pas sensiblement, la royale maxime « après nous le déluge » continue à servir de politique financière aux grandes démocraties.

Sans augmenter les impôts

Si au contraire, on part du constat que ce « corner » budgétaire est devenu trop grave et menaçant pour continuer à s’en désintéresser, il est alors nécessaire de réfléchir aux solutions possibles pour diminuer la dette publique sans augmenter drastiquement les impôts ou baisser brutalement les dépenses publiques. C’est seulement ainsi que l’on pourra réouvrir l’avenir, redresser un moral collectif hypothéqué le sentiment diffus que « nous allons dans le mur » et éviter la fuite des cerveaux.

Le jeu en vaut la chandelle : 45 milliards d’euros (soit le budget de l’éducation nationale ou une fois et demie celui de la défense) partent en fumée chaque année pour payer les déficits passés et font ainsi défaut à une dépense publique, ou privée, utile et tournée vers l’avenir.

Un allégement de 30 % du domaine public ramènerait à moins de 70 % le taux d’endettement public

Comme le constatait Turgot, l’endettement diminue « le revenu libre » de l’État, car la dette se rembourse, et ce faisant ponctionne l’épargne et compromet l’investissement. Nous souffrons moins de politiques d’austérité budgétaire, que des conséquences dépressives de politiques budgétaires laxistes auxquelles s’ajoute le jeu des intérêts composés.

La solution que nous proposons ici consiste d’une part à céder au secteur privé une fraction significative du domaine public pour rembourser une fraction de la dette publique par des cessions exceptionnelles d’actifs (pas seulement immobiliers) et d’autre part à proposer aux créanciers privés de l’Etat de substituer à leurs titres de créance des titres de propriété foncière et immobilière, afin d’à la fois diminuer immédiatement le stock de dette publique et de dynamiser (d’aménager) le territoire par la multiplication d’initiatives du secteur privé et de la société civile.

Deux voies d’allégement parallèles à explorer

D’après la comptabilité nationale patrimoniale, la valeur du patrimoine foncier et immobilier des administrations publiques s’élevait en 2013 à 1 717 milliards d’euros (59 milliards de logements, 973 d’autres bâtiments et génie civil et 685 de terrains bâtis, in « Insee Première » n° 1529, décembre 2014 « Le patrimoine économique national » Tableau 1).

Ne figure pas dans ce bilan de poste « terrains non bâtis » qui représente une surface et une valeur non négligeables : celles gérées et souvent stérilisée, par le Conservatoire du littoral, l’Office national des forêts, voies navigables de France, la Caisse des dépôts, les administrations publiques locales. La seule valeur du patrimoine immobilier et foncier bâti est considérable et représente 95 % de la dette publique qui s’élevait à la fin 2013 à 1 813 milliards d’euros.

Sans doute la partie privatisable ne représente qu’une fraction de ce patrimoine foncier et immobilier, disons de manière arbitraire 30 %, soit 565 milliards d’euros, ou 27 % du produit intérieur brut (PIB) 2014. Comme la dette publique tangente le PIB, un allégement de 30 % du domaine public ramènerait à moins de 70 % le taux d’endettement public. C’est dire le potentiel de désendettement de cette piste d’allégement du domaine public, sans tenir compte de celui du secteur public, doté d’un immense patrimoine foncier et immobilier (songeons à la SNCF et à EDF), ni du potentiel de recettes exceptionnelles d’une relance des privatisations du secteur public marchand.

Deux voies d’allégement parallèles sont à explorer : une, assez classique, de cession par lots éventuellement sous forme d’enchères pour valoriser au mieux les actifs, l’autre, plus innovante, d’échanges d’obligations publiques contre des parts sociales représentatives de titres de propriété immobilière ou foncière. Cette privatisation d’une partie du domaine public intéresserait autant nos concitoyens que des investisseurs internationaux, qui y trouveraient à la fois un « usus », un possible « fructus », ainsi qu’une valorisation patrimoniale grâce à une gestion améliorée.

Empêcher des dérives mercantiles

Cela ferait d’une pierre deux coups : désendetter puissamment l’Etat et enrichir les Français qui échangeraient une fausse épargne à l’issue douteuse contre de véritables actifs, sans compter l’effet de relance par la dépense privée de l’économie culturelle, touristique et sportive, ni le bénéfice psychologique, l’effet sur le moral de la nation, d’une appropriation privée d’anciens domaines publics.

Cette aliénation d’une fraction du domaine public devrait être contrôlée dans sa destination par des cahiers des charges précis empêchant par exemple des dérives mercantiles (loin de nous l’idée de vouloir bétonner le littoral).

Si la mise en place d’un tel projet nécessite préparation et réflexion - et n’ira pas sans à avoir à surmonter nombre de difficultés techniques ou politiques -, on peut en mesurer la portée d’intérêt général et les avantages immédiats pour l’Etat : réduction du stock de dette, enrichissement des Français, économies d’entretien du patrimoine, gestion améliorée du patrimoine, effet psychologique d’une appropriation par les Français eux-mêmes d’un patrimoine national impersonnel, revalorisation potentielle d’un patrimoine public « en friche », participation des capitaux étranger à la valorisation de notre patrimoine, attraction touristique accrue, opportunité de développer des vocations entrepreneuriales et associatives locales, croissance porteuse d’emplois non délocalisables et de rentrées fiscales supplémentaires, nouveaux métiers et nouvelles techniques pour mener à bien ce(s) grand(s) chantier(s) et accompagner la gestion des nouveaux domaines privés…