Moustique « Aedes albopictus » porteur du virus Zika. | Center for Disease Control (CDC)

Dans son allocution d’ouverture de la 69e Assemblée mondiale de la santé, lundi 23 mai, la directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a évoqué les épidémies de Zika et de dengue, et la menace du Chikungunya, auxquelles on pourrait ajouter celle de la fièvre jaune qui s’étend en Afrique. Le Dr Margaret Chan a parlé du « prix payé pour un échec massif de la politique qui a laissé tomber le contrôle des moustiques au cours des années 1970 ». Coordinateur pour l’écologie et la gestion des vecteurs au département pour le contrôle des maladies tropicales négligées à l’OMS, le Dr Raman Velayudhan revient sur la lutte contre les maladies transmises par les insectes.

Quelle a été la politique antivectorielle avant les années 1970 et quels facteurs ont entraîné un changement dans ce domaine ?

Raman Velayudhan. Après la découverte et l’usage efficace d’insecticides à effet rémanent [comme le DDT] dans les années 1940, les programmes de contrôle à grande échelle et systématiques sont parvenus à garder sous contrôle dans la majorité des régions du monde la plupart des maladies importantes transmises par les moustiques. Dans le cadre de la campagne contre la fièvre jaune, l’Aedes aegypti a été virtuellement éliminé du continent américain. A la fin des années 1960, la plus grande partie de l’Amérique du Sud était débarrassée des moustiques du genre Aedes.

Comme souvent en santé publique, lorsqu’une menace sanitaire décroît, la vigilance diminue. Les ressources ont baissé, les programmes se sont effondrés, les infrastructures ont été démantelées, un plus petit nombre de spécialistes a été formé et envoyé sur le terrain. Les moustiques et les maladies qu’ils transmettent se sont vengés en revenant en force.

Ils sont revenus dans un environnement dont peu de défenses étaient encore intactes. Près de deux décennies d’intérêt décroissant et d’expertise en baisse ont sévèrement affaibli les capacités nationales à mettre en œuvre des programmes de contrôle des moustiques. Les programmes précédents, qui étaient couronnés de succès, ont laissé place à des pulvérisations d’insecticides en réaction à des urgences. Cette mesure séduisante sur le plan politique, car à forte visibilité, a un impact faible quand elle n’est pas intégrée à d’autres stratégies de contrôle.

Quels étaient les bénéfices et les inconvénients des anciennes politiques antivectorielles ?

Pour l’essentiel, c’étaient de bonnes politiques. C’est l’échec de la poursuite de ces politiques et l’absence de financement de ces programmes qui a abouti à la résurgence des populations de vecteurs. Le contrôle vectoriel durable nécessite des ressources en personnel qualifié, équipements et insecticides, et des financements pour les opérations de surveillance et de contrôle.

Quels sont les nouveaux outils de contrôle des populations de moustiques, notamment ceux mis en œuvre contre le Zika ?

Il faut se rappeler que la manière efficace de contrôler les moustiques qui transportent les virus du Zika, du chikungunya, de la dengue et de la fièvre jaune inclut l’élimination des sites où les moustiques peuvent se reproduire, et cela ne peut s’accomplir qu’en mobilisant la population. Si les méthodes disponibles sont bien mises en œuvre – c’est-à-dire d’une façon opportune, complète et durable –, elles sont efficaces pour réduire la densité de vecteurs.

Les méthodes existantes recommandées comprennent les pulvérisations résiduelles ciblées sur les moustiques Aedes à l’intérieur et autour des maisons (sous les meubles, sur les murs), les pulvérisations spatiales, la fumigation intradomiciliaire là où les moustiques Aedes se trouvent et où ils piquent, l’élimination des sites de reproduction des moustiques Aedes pour contrôler au stade larvaire, et les mesures personnelles de protection : avant tout porter des vêtements – de préférence de couleur claire – couvrant le maximum du corps et utiliser des répulsifs contre les insectes contenant du DEET, de l’IR 3535 ou de l’icaridine.

L’OMS a listé cinq priorités de recherche pour Zika, y compris l’une liée au déploiement pilote de deux nouvelles méthodes de contrôle des moustiques : le biocontrôle utilisant la Wolbachia [une bactérie introduite chez les moustiques et qui empêche les virus de s’y développer] et les moustiques transgéniques OX513A.

Les autres priorités de recherche visent à établir une relation de causalité entre l’infection par le virus Zika et des troubles neurologiques – il y a à présent un consensus sur le fait que le Zika est la cause de microcéphalies et de syndromes de Guillain-Barré –, à évaluer le risque de pathologies de la grossesse chez les femmes infectées par le virus Zika et à suivre les bébés et les enfants, à explorer la transmission sexuelle du virus Zika, et enfin à réfléchir aux systèmes de santé et à leur organisation.

Qu’est-ce qui a sonné le réveil sur l’importance du contrôle des moustiques ?

La survenue simultanée de la dengue, du chikungunya et du Zika dans les îles du Pacifique et maintenant en Amérique du Sud met en lumière la nécessité d’un contrôle des moustiques efficace et durable, en particulier dans les zones urbaines. La récente épidémie de fièvre jaune, également due aux Aedes, dans des régions africaines ne fait qu’ajouter au problème.

Comment qualifieriez-vous l’ampleur actuelle du problème des maladies à transmission vectorielle ?

Pour ne prendre que les maladies transmises par les moustiques du genre Aedes, le coût mondial de la dengue est substantiel et, si les stratégies de prévention et de contrôle pouvaient la réduire, des milliards de dollars seraient économisés. Une étude parue en avril dans The Lancet estimait qu’en 2013 on comptait 58 millions de cas d’infections symptomatiques par le virus de la dengue, et que le coût total annuel à l’échelle mondiale de la dengue était de 8,9 milliards de dollars (7,9 milliards d’euros). Pour ce qui est du Zika, 60 pays sont affectés par une transmission en cours du virus par les moustiques et plus de 1 000 cas de microcéphalies ont été notifiés au Brésil.