Le Footsie 100 plongeait de plus de 7 % vendredi en début de séance, près de la moitié de ses valeurs ne pouvait même pas être cotées en début de séance face aux flux vendeurs. | RUSSELL BOYCE / REUTERS

Chute libre. Le scénario noir, auquel les investisseurs ne voulaient pas croire à mesure qu’approchait la date butoir du référendum britannique, est en train de se réaliser. A la question, le Royaume-Uni doit-il rester membre de l’Union européenne ou la quitter, les Britanniques ont répondu « Leave ».

  • Plongeon généralisé

L’onde de choc de ce cataclysme politique et économique s’est rapidement propagée sur les marchés, les Bourses européennes s’effondrant à l’ouverture vendredi 24 juin. Le Footsie 100 plongeait de plus de 7 %, près de la moitié de ses valeurs ne pouvait même pas être cotées en début de séance face aux flux vendeurs. Le CAC 40 chutait de près de 8 %, le DAX allemand de 10 %. Au Japon, le Nikkei a clôturé sur un repli de 7,92 %, accentuant ses pertes tout au long de la séance à mesure que le résultat ne faisait plus guère de doute.

infographie : Le Monde

La chute est d’autant plus forte que les investisseurs ont été pris à contre-pied. Tout au long de la semaine, les indices ont franchement progressé à la faveur de sondages plaçant régulièrement le « in » en tête. « Hier encore nous avons assisté à d’importants rachats de position de vente à découvert, preuve que le marché ne croyait pas au Brexit », note Franck Dixmier, directeur des gestions obligataires chez Allianz Global Investors.

Pour connaître le verdict, l’évolution de la monnaie britannique était un bon indicateur. Le marché des devises étant ouvert 24 heures sur 24 heures, la livre sterling n’a cessé de se replier au grès des résultats partiels. Dès 1 heure du matin, la livre a commencé a décroché avant d’accélérer sa chute à partir de 3 heures 30 et perdre près de 10 % à l’aube. A 1,36 dollar pour 1 livre, la monnaie britannique est au plus bas depuis 1985.

A 1,36 dollar pour 1 livre, la monnaie britannique est au plus bas depuis 1985. | ANDY BUCHANAN / AFP

  • « Le triple A n’est pas tenable »

Ce plongeon était inévitable, le Brexit ouvrant une longue période d’incertitude, le temps pour le Royaume-Uni de négocier un nouveau régime de relations économiques avec l’Union européenne. Quel sera l’accès du pays au marché unique européen et ses 500 millions de consommateurs ? Combien de temps dureront les négociations ? Deux ans ou sept ans, comme l’estimait le président du Conseil européen, Donald Tusk, le 12 juin.

L’impact est tel que le Royaume-Uni devrait rapidement perdre sa précieuse note « AAA » que l’agence de notation S&P lui attribue sans discontinuer depuis un demi-siècle. « Dans ces circonstances, le triple A n’est pas tenable », a affirmé, le 24 juin, un responsable de l’agence de notation au Financial Times.

  • L’euro malmené

La livre n’est pas la seule devise à dévisser, l’euro était lui aussi malmené (– 3 % à 1,10 dollar), tant l’Union européenne est aujourd’hui ébranlée par les résultats du référendum. Le  « Brexit » donne en effet des arguments supplémentaires à tous les courants eurosceptiques déjà à l’œuvre en Europe. « Entre le Brexit, la victoire du mouvement 5 étoiles à Rome, les élections espagnoles ce week-end… les votes antieuropéens gagnent du terrain, ce qui affaiblit la crédibilité de l’euro », note Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM. D’ailleurs, la monnaie européenne devrait poursuivre sa glissade. Les analystes de Morgan Stanley estimaient, qu’en cas de « Brexit », l’euro devrait rapidement s’équilibrer autour de 1,07 dollar.

Les conséquences économiques seront plus lourdes pour la Grande-Bretagne que pour la zone euro, mais toutes les Bourses européennes plongent à l’unisson. La baisse de l’indice britannique aurait même pu être plus forte au vu de l’événement qui est en train de se jouer. Mais comme la majeure partie du chiffre d’affaires des sociétés du Footsie 100 est réalisé en dehors du Royaume-Uni, les entreprises vont bénéficier de la baisse de la devise britannique, qui est synonyme de gains de compétitivité et améliorera mécaniquement leurs résultats.

  • Les valeurs bancaires dévissent

Le secteur bancaire est l’un des plus attaqués. Les valeurs de certaines grandes banques comme Royal Bank of Scotland (RBS), Barclays et Lloyds Banking Group s’effondraient de près de 30 % à Londres. A Francfort, la Deutsche Bank chutait de 17 % à l’ouverture. A Paris, BNP Paribas s’écroulait de 16 %, la Société générale de… 25 %. Déjà sous pression par l’environnement de taux bas qui rognent leurs marges, les établissements britanniques vont, avec le « Brexit« , perdre leur « passeport européen » qui leur permet de vendre leurs produits financiers en Europe.

Autre conséquence, les taux des emprunts d’Etat se tendaient vendredi matin au Portugal, en Espagne et en Italie. Les écarts avec la dette allemande augmentaient d’autant plus que les investisseurs se ruaient sur le Bund. Le rendement de l’emprunt d’Etat allemand à dix ans est ainsi retombé en territoire négatif (à – 0,14 % à l’ouverture), après une première incursion historique dans le rouge, le 14 juin. Aux Etats-Unis, les taux à dix ans baissaient nettement à 1,47 %.

L’once d’or grimpe

Fuyant les actifs risqués les investisseurs se reportent aussi sur les traditionnelles valeurs refuges. L’once d’or grimpe de 6 %, à 1 323 dollars (1 165 euros), soit son plus haut niveau depuis l’été 2014. Et il devrait poursuivre son ascension : les analystes de la Société générale estiment qu’il pourrait atteindre rapidement les 1 400 dollars. Le billet vert était lui aussi recherché, tout comme le yen.

Et encore, les investisseurs s’étaient préparés au pire. A mesure que l’échéance approchait, ils ont massivement réorienté leur allocation d’actifs. La semaine précédent le référendum, les fonds d’actions britanniques ont enregistré la deuxième plus forte sortie d’investisseurs des dix dernières années. Les gérants avaient aussi porté la part des liquidités dans leur portefeuille à leur plus haut niveau depuis 2001, notait Merrill Lynch Bank of America.

Laurent Denize, coresponsable des investissements chez Oddo Meriten AM, explique ainsi :

« Nous avons augmenté le cash et mis en place des stratégies plus ou moins sophistiquées, en utilisant, par exemple, des options d’achat sur la dette allemande afin de se couvrir à moindre coût en cas de “Brexit ou des stratégies privilégiant les obligations d’entreprises de grande qualité au détriment de la dette senior des banques. L’idée était de pouvoir bénéficier de la forte volatilité du marché quel que soit le résultat du référendum. »

Et maintenant ? Avant le référendum, tous les analystes anticipaient une chute de 10 % à 20 % des indices en cas de “Brexit”. A la veille du vote, les équipes de la Société générale estimaient, par exemple, que le Footsie 100 plongerait de 15 %, l’Eurostoxx 50 et le Nikkei de 20 % et aux Etats-Unis le S&P 500 de 10 %, le 24 juin et les jours suivant. Et prévient M. Dixmier :

« Passé le choc, la réaction épidermique, les indices devraient ensuite temporiser. Les banques centrales vont s’efforcer de ramener le calme sur les marchés car cette instabilité financière peut être très préjudiciable dans un contexte où les économies sont déjà fragiles. »