Manifestation à Paris, le 21 juin 2009, en soutien aux neuf personnes du "groupe de Tarnac" mises en examen dans le cadre de l'enquête sur des sabotages de lignes TGV. | AFP/MIGUEL MEDINA

Tarnac, énième épisode. La juge d’instruction Jeanne Duyé a renvoyé vendredi 7 août, devant un tribunal correctionnel, huit membres d’un groupe issu de la mouvance anarcho-autonome mais a surtout rejeté la circonstance aggravante d’« entreprise terroriste » réclamée par le parquet.

Il s’agit d’une nouvelle page dans une saga politico-judiciaire aux rebondissements médiatisés, et racontée en détail sur le blog dédié du Monde. Car si initialement, il s’agissait d’une enquête sur le sabotage de lignes SNCF, les dix mis en examen ont ensuite contesté l’instruction et déposé plusieurs plaintes, notamment pour usage de faux et atteinte à l’intimité de la vie privée.

Retour sur l’affaire, ou plutôt les affaires Tarnac, qui durent depuis sept ans.

Que se passait-il à Tarnac ?

Dans le petit village corrézien de Tarnac, un groupe de jeunes issus de l’extrême gauche gravite autour d’un intellectuel fédérateur, Julien Coupat.

En avril 2008, le patron de la sous-direction antiterroriste (SDAT) de la police judiciaire demande au parquet de Paris l’ouverture d’une enquête préliminaire sur « une structure clandestine anarcho-autonome entretenant des relations conspiratives avec des militants de la même idéologie implantés à l’étranger et projetant de commettre des actions violentes » et son leader supposé, Julien Coupat.

Que reproche-t-on à Julien Coupat ?

Cinq sabotages sont déplorés par la SNCF dans les nuits des 25 au 26 octobre et du 7 au 8 novembre 2008 dans l’Oise, dans l’Yonne et en Seine-et-Marne.

En Seine-et-Marne, les policiers décrivent dans un procès verbal une voiture occupée par Julien Coupat et sa compagne, Yildune Lévy, tournant pendant des heures autour du lieu du sabotage dans la nuit du 7 au 8 novembre. Le couple justifie leur proximité de l’une des lignes : « On a fait l’amour dans la voiture, comme plein de jeunes. »

Le 11 novembre, neuf suspects (cinq femmes et quatre hommes) sont interpellés et placés en garde à vue. Quatre jours plus tard, ils sont mis en examen pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme » et Julien Coupat, en outre, pour « direction ou organisation d’un groupement formé en vue de la préparation d’un acte terroriste ». Un dixième suspect sera mis en examen quelque temps plus tard.

Après sept ans d’enquête, le ministère ne requiert le renvoi que d’une partie des membres du groupe pour des sabotages de lignes SNCF. Seuls trois d’entre eux sont inquiétés pour « destructions ou dégradations en réunion en relation avec une entreprise terroriste » : Julien Coupat et Yildune Lévy, accusés du sabotage de la ligne Est du TGV à Dhuisy (Seine-et-Marne) à l’aide d’un crochet posé sur la caténaire, le 8 novembre 2008, et Gabrielle Hallez, accusée avec Julien Coupat des mêmes faits à Vigny (Moselle), le 26 octobre 2008. L’enquête n’a pas permis de trouver de suspects pour les trois autres sabotages (deux dans l’Oise et un dans l’Yonne).

Que reproche-t-on à l’enquête ?

  • Le manque de preuves

La pose d’un crochet sur une caténaire est le seul fait concret que les juges et les policiers sont parvenus à ramasser contre Julien Coupat et Yildune Lévy pour le sabotage de la ligne TGV à Dhuisy. Leur mise en examen repose essentiellement sur le procès-verbal d’une filature réalisée par la sous-direction antiterroriste (SDAT) de la police judiciaire et la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), le groupe d’enquête chargé de Julien Coupat.

La défense conteste la véracité du document et la présence même de certains policiers, qu’elle soupçonne d’avoir utilisé une balise illégale posée sur la voiture du couple.

A Nanterre, une instruction pour « faux en écriture publique » visant ce procès-verbal de filature a été ouverte en novembre 2011. La cour d’appel de Versailles a ordonné l’audition des policiers de la DCRI. Douze d’entre eux ont été entendus anonymement, leur service étant couvert par le secret défense. Mais ils ont refusé de répondre, s’abritant derrière une mémoire défaillante et le secret.

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  • Les méthodes de la DCRI

Dès le mois de novembre 2008, les parents des neuf inculpés demandent la libération de leurs enfants dans une lettre ouverte. Ils dénoncent les méthodes utilisées par la police, la complaisance des médias et la présomption de culpabilité qui pèse sur leurs enfants.

Créée en juillet 2008, la DCRI est alors toute nouvelle, et ses méthodes seront décortiquées et critiquées par la presse.

La défense demande notamment l’annulation de deux pièces du dossier : la surveillance (illégale) du domicile de Julien Coupat à partir du 15 août 2008 et le placement sur écoute sauvage de l’épicerie de Tarnac. En octobre 2010, la cour d’appel de Paris valide l’intégralité de l’enquête et la chambre de l’instruction rejette la demande d’annulation.

Mais la défense n’a pas dit son dernier mot. Elle dépose plusieurs plaintes qui aboutiront à l’ouverture d’une instruction en janvier 2012 pour « atteinte au secret des correspondances » et « atteinte à l’intimité de la vie privée ». En cause : la découverte par le gérant du Magasin général de Tarnac d’un dispositif d’écoutes artisanales dès avril 2008. Mais les juges se confronteront au mur du secret défense. Après avoir réussi à obtenir, non sans mal, les motifs de la mise sur écoute, ce n’est pas la « prévention du terrorisme » qui est invoquée, mais « la criminalité et la délinquance organisées ». Des faits dont il n’a jamais été question dans l’affaire de Tarnac.

  • La qualification de terrorisme

Lors de l’instruction, la défense a contesté le caractère « terroriste » de ces sabotages, mettant notamment en avant le fait que personne n’avait été blessé.

La question de l’inculpation pour terrorisme se pose d’autant plus qu’en août 2014, un sabotage en tous points similaire – la pose d’un crochet sur une caténaire de la ligne du TGV Lyon-Paris – a pourtant été considéré comme un simple « acte de malveillance » par le parquet de Chalon-sur-Saône.

Dans son réquisitoire, le ministère public leur répond jeudi 7 mai que « la finalité terroriste du groupuscule ne saurait être nuancée par l’absence de victimes humaines », l’article 421-1 du code pénal disposant que « les atteintes aux biens » peuvent constituer en droit français des actes de terrorisme, pour peu qu’elles aient « pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

La juge d’instruction n’a finalement pas retenu cet élément, ne gardant que l’accusation d’« association de malfaiteurs » à l’encontre de Julien Coupat, sa compagne Yildune Lévy et son ex-petite amie Gabrielle Hallez. Quatre autres personnes sont renvoyées pour avoir refusé de donner leur ADN et, pour deux d’entre elles, pour « falsification de documents administratifs ». La défense a salué cette décision, jugeant qu’il s’agissait d’un « désaveu total pour le parquet ».