La joie de Aron Gunnarsson à la fin du match face à l’Angleterre. | ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

L’Islande a réussi le premier grand exploit de l’Euro 2016 en éliminant l’Angleterre, lundi 27 juin à Nice, dès les 8e de finale (2-1). Ragnar Sigurdsson et le Nantais Kolbeinn Sigthorsson ont répondu à un pénalty de Wayne Rooney marqué dès la 3e minute. L’Angleterre sortie de l’Euro, trois jours après avoir décidé de sortir de l’Europe. La coïncidence est délicieuse mais totalement fortuite. Si Rooney et ses boys quittent la France piteusement dès les 8e de finale, ils ne le doivent pas au contexte politique mais plutôt à leurs propres lacunes, connues depuis le début du tournoi. Une incapacité flagrante à concrétiser des occasions qu’ils se sont pourtant créées. Et une charnière centrale dont la lourdeur a pesé face aux charges du duo de joyeux vikings Bödvarsson-Sigthsorsson.

Italie-Espagne était un combat technique et tactique remporté à l’étouffée par la Squadra Azzura ? Angleterre-Islande démarre comme une bataille de puncheurs où chaque équipe cherche à assommer l’adversaire. Au bout de six minutes, le score affiche déjà 1-1 et les 35 000 spectateurs de l’Allianz Riviera sont en fusion. «Il faut exploiter vite le ballon pour mettre en difficulté leur défense» s’est projeté capitaine Rooney, la veille du match. Une stratégie 100% british que son équipe utilise déjà depuis le début de l’Euro… Sans jamais y ajouter les buts qui font les grandes équipes. Que peut faire Roy Hodgson, 68 ans, sélectionneur vieillissant d’une des plus jeunes équipes du tournoi, pour améliorer le maigre rendement offensif ? « Nous avons des options devant» a-t-il assuré en conférence de presse.

Mode survie en défense

La feuille de match raconte une autre histoire. L’Angleterre se présente comme pour son match inaugural face à la Russie (1-1), seul Daniel Sturridge remplace Adam Lallana. Raheem Sterling, dézingué par toute la presse d’outre-manche pour son manque de technique, revient lui occuper le côté gauche et tenter de donner cette fameuse vitesse dont rêve Rooney. L’idée paye. Lancé par Sturridge, son ex-coéquipier au Liverpool FC, Sterling, désormais à Manchester City, se présente seul devant le gardien Hannes Halldorsson, qui sort trop vite pour l’éviter. Pénalty pour l’Angleterre dès la 3e minute et Wayne Rooney, face aux supporters islandais, transforme (1-0).

Promenade niçoise pour les Anglais ? C’est oublier que l’Islande est la plus belle sensation de l’Euro. La dernière surprise en course aussi, après l’élimination des deux Irlande, de la Slovaquie et des Hongrois dans ces 8e de finale. Sortie des poules sans perdre un match, la plus petite des nations engagées dans la compétition n’a peur de personne. Et surtout pas des Anglais, que nombre de ses joueurs affrontent chaque samedi sur les pelouses du Royaume-Uni, où ils vivent leur carrière d’exilés du foot.

L’Islande a, de plus, une arme aérienne redoutable : les touches de son capitaine Aron Gunnarsson. Etrangement, à l’heure où chaque sélection emploie une armée d’analystes vidéo pour décortiquer ses rivaux, personne n’a trouvé d’antidote à ces ballons catapultés puis déviés dans la surface adverse. L’Angleterre, pourtant connue pour le côté clinique de sa préparation, se laisse piéger. Gunarsson expédie la balle sur Arnason, qui dévie pour Ragnar Sigurdsson, qui n’a plus qu’à tromper Joe Hart (1-1, 6e). Limpide.

L’Angleterre, que le champion du monde poids lourds Tyson Fury est venu supporter jusqu’à Nice, remonte sur le ring. Un corner de Rooney manque de trouver la tête de Dele Alli (12e). Quelques secondes plus tard, le joueur de Tottenham reprend, juste au-dessus des buts d’Halldorsson, un ballon mal renvoyé par la défense islandaise sur un nouveau centre de Rooney. Le milieu de Manchester United est, avec Sturridge, le plus vivace des Anglais.
Face à cette pression, les Bleus se sont mis, comme lors de leurs précédents matches du tournoi, en mode survie en défense. Devant, en revanche, ils piquent comme des abeilles.

Les supporteurs islandais à Nice. | VALERY HACHE / AFP

Le quart d’heure de jeu est à peine dépassé que le trio Sigurdsson-Bödvarsson-Sigthorsson s’offre un jeu en triangle d’école au cœur de la défense anglaise. Les pourtant expérimentés Cahill et Smalling regardent passer Kolbeinn Sigthorsson qui les évite et place le ballon au bout du gant de Joe Hart (2-1, 18e). Premier but de l’Euro pour le Nantais et juste récompense pour l’ensemble de son œuvre.

Si Damir Skomina, l’arbitre slovène, sanctionne Gylfi Sigurdsson d’un avertissement (38e) – le 10e récolté par les Islandais depuis le tournoi-, il se montre coulant envers des Scandinaves qui utilisent leur puissance physique pour contrer les Anglais. L’équipe dirigée par le duo Lagerbäck-Hallgrimsson bénéficie aussi de la maladresse chronique des attaquants britanniques. Un contre lancé par Sterling et prolongé par un énième centre de Sturridge débouche sur une belle volée d’Harry Kane… Spectaculaire mais sur Halldorsson qui détourne en corner. Juste avant la mi-temps, Sturridge tente une frappe lobée que le gardien islandais n’a aucun mal à arrêter. Deux buts à un, au repos. Les quelque 8 000 Islandais et leur nouveau président, Gudni Johannesson, élu le week-end précédent et présent à l’Allianz Riviera, n’en croient pas leurs yeux.

L’impuissance anglaise

Un beau God save the Queen accueille le retour des Anglais, sortis quelques minutes plus tôt sous les sifflets. Roy Hodgson, qui sent que la partie pourrait bien être sa dernière à la tête de la sélection, lance Jack Wilshere à la place d’Eric Dier. Le milieu de terrain d’Arsenal représente un choix plus offensif même s’il vient se positionner à côté de Rooney. C’est une de ses ouvertures qui, à la 52e , offre à Dele Alli un nouveau duel – perdu - avec Halldorsson. L’Islande tient et ses supporters s’offrent le plaisir de dominer vocalement tout le stade. A leurs appels gutturaux, Ragnar Sigurdsson répond par l’action du match. Un retourné acrobatique sur une remise de la tête de Sigthorsson que Joe Hart renvoie sans même l’avoir vue arriver (55e). Cette Islande-là réveille soudain le souvenir du Danemark de 1992 ou de la Grèce de 2004, vainqueurs surprises de l’épreuve… Un miracle européen par décennie, pourquoi pas.

Pour conjurer le destin, Roy Hodgson mange son chapeau en sortant Raheem Sterling, transparent depuis son penalty obtenu en début de match (60e)… Il met son salut entre les pieds de Jamie Vardy, l’avant-centre de Leicester, héros de la saison en Premier League. «Britannia rules the World » chantent les supporters anglais et Wilshere lance, plein axe, le bad boy de Leicester. La rédemption n’est pas encore au rendez-vous, car Arnason, à la course, vient rattraper la flèche anglaise et le priver, d’un tacle parfait, d’une balle de but (69e).

L’Angleterre tangue de plus en plus et le mur des fans islandais scande un « We will rock you », version corrigée, qui sonne comme un hymne funèbre. Au championnat d’Europe du gâchis, Harry Kane gagne encore des points. Seul aux six mètres, sa tête ressemble à une passe en retrait pour le gardien adverse (78e). La fin du match sera un long calvaire pour l’attaquant de Tottenham. Roy Hodgson, le sélectionneur anglais, est venu se poster au bord du terrain, mains sur les hanches, à la recherche de l’inspiration… Sur le terrain, les Islandais, toujours remarquablement organisés, la trouvent tout seuls. Leur capitaine Aron Gunnarsson, à la conclusion d’un contre fulgurant, frappe pour tuer le match, mais Joe Hart sauve encore le royaume (82e). Symbole de l’impuissance anglaise et d’un changement de génération, Wayne Rooney, 115 sélections, quitte ses camarades (86e). Marcus Rashford, la merveille de Manchester United, 18 ans, 3 apparitions en équipe nationale, le remplace. Sa rentrée sera inutile. L’Islande est magique.