L’Espagnol Cesc Fabregas et l’Italien Giorgio Chiellini lors de la finale de l’Euro 2012 gagnée 4-0 par la « Roja ». Les deux équipes se retrouveront en huitième de finale, le 27 juin. | FILIPPO MONTEFORTE / AFP

La phase de groupes de l’Euro 2016 vient de livrer son verdict, et on connaît maintenant le tableau final du tournoi. Ce tableau paraît très déséquilibré, puisque les cinq poids lourds du football européen (Allemagne, Italie, Espagne, France et Angleterre) se retrouvent tous dans la moitié droite. Ainsi, on sait déjà que parmi l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne (les trois derniers champions du monde), au plus une seule équipe atteindra les demi-finales. Et, sans le but islandais de Traustason à la 94e minute face à l’Autriche (2-1), il aurait fallu ajouter à cette liste le Portugal, que la victoire des néophytes islandais a fait glisser à la troisième position du groupe F, lui évitant ainsi in extremis d’affronter l’Angleterre en huitièmes de finale.

L’UEFA n’est pas pour grand chose dans cette affaire : si les favoris espagnol et anglais avaient tenu leur rang, le tableau aurait semblé beaucoup plus équilibré. La partie droite du tableau accueille les vainqueurs des groupes A, C et E et les deuxièmes des groupes B, D et F. Il se trouve que, par hasard, les favoris des trois premiers groupes (A : France, C : Allemagne, E : Italie) en sont sortis vainqueurs, alors que les favoris des trois autres groupes (B : Angleterre, D : Espagne, F : Portugal) n’ont fini qu’à la deuxième place (et même la troisième, finalement, pour le Portugal). Voilà pourquoi on retrouve tant de beau monde dans cette moitié de tableau. Cependant, comme je l’expliquais dans un précédent article le tableau final de l’Euro 2016 a de sérieux défauts. Je vais ici proposer une solution alternative.

Avant de parler des défauts du tableau, reconnaissons-lui deux qualités principales. Tout d’abord, et malgré les apparences, il est en réalité bien équilibré, puisque chaque moitié de tableau a trois vainqueurs, trois deuxièmes, et deux troisièmes de groupe ; chaque quart de tableau a un troisième de groupe et soit un vainqueur et deux deuxièmes, soit deux vainqueurs et un deuxième ; et enfin les troisièmes jouent contre des vainqueurs de groupe en huitièmes de finale.

Ensuite, il garantit un bon brassage des groupes : dans chaque moitié de tableau, les trois vainqueurs et les trois deuxièmes de groupe sont issus des six différents groupes ; de plus, dans chaque quart de tableau, les quatre équipes sont issues de quatre groupes différents. C’est ce qui motive la règle d’allocation des troisièmes de groupe. Par exemple, le vainqueur du groupe A (1A), qui se trouve dans le même quart de tableau que 2B et 2F (les deuxièmes des groupes B et F), n’est autorisé à jouer que contre 3C, 3D ou 3E. Ces deux contraintes garantissent que deux équipes issues d’un même groupe ne peuvent pas se rencontrer à nouveau avant les demi-finales, et que vainqueur et deuxième de groupe ne peuvent pas se rencontrer à nouveau avant la finale.

La France favorisée

Quels sont les trois principaux défauts du tableau officiel ? Tout d’abord, il favorise une équipe, la France, qui a été automatiquement placée dans le seul groupe (A) où le vainqueur est certain de rencontrer un troisième de groupe en huitièmes de finale puis un deuxième de groupe en quarts, et où, en outre, le deuxième de groupe est sûr de rencontrer un autre deuxième de groupe en huitièmes. Il n’y a aucune raison de protéger autant le pays hôte.

Inversement, le tableau pénalise les équipes du groupe E, seul groupe où le vainqueur rencontre un deuxième de groupe et le deuxième rencontre un vainqueur de groupe en huitièmes de finale. Le système que je propose ne favorise ni ne pénalise aucun groupe.

Ensuite, la règle actuelle n’incite pas toujours les équipes à gagner. On l’a vu cette année avec l’Italie, assurée de terminer à la première place de son groupe dès le coup de sifflet final de son deuxième match, et qui n’avait rien à gagner ni à perdre lors de son troisième match, perdu face à l’Irlande, contre qui elle a aligné son équipe B. (On notera qu’en raison de leur appartenance au maudit groupe E, les Italiens, en récompense de leurs brillants résultats, affronteront le tenant du titre espagnol dès les huitièmes puis, s’ils passent cet obstacle, probablement le champion du monde allemand en quarts.) Le système que je suggère incite les équipes à gagner tous leurs matchs, même si la première place du groupe est déjà dans la poche.

Enfin, la règle actuelle utilise trop de choix arbitraires : pourquoi sont-ce les vainqueurs des groupes A, B, C et D qui ont l’avantage de jouer contre un troisième de groupe en huitièmes de finale ? Si les vainqueurs des groupes E et F obtiennent de meilleurs résultats dans leur groupe, cet avantage devrait leur revenir. Pourquoi sont-ce les deuxièmes des groupes D et E qui, même s’ils obtiennent plus de points que les deuxièmes des autres groupes, ont le désavantage de jouer contre des vainqueurs de groupe en huitièmes ? Par ailleurs, pourquoi avoir arbitrairement choisi un des 65 536 tableaux d’allocation des troisièmes de groupe qui satisfont à la contrainte de brassage des groupes ? Dans le système que je propose, les équipes gagnent l’avantage de jouer contre des troisièmes ou des deuxièmes de groupe grâce à leurs résultats sur le terrain (et non parce que le hasard les a placées dans un certain groupe), et les troisièmes de groupe sont également répartis dans le tableau final en fonction de leurs résultats, et non arbitrairement.

Brassage

Voici donc la nouvelle règle que je propose. On commencerait par classer non seulement les troisièmes de groupes (comme cela est fait actuellement), mais aussi les vainqueurs de groupe (de 1 à 6), et les deuxièmes de groupe (de 7 à 12) en fonction de leurs performances sur le terrain, selon les critères habituels : nombre de points, différence de buts, buts marqués, fair-play (nombre de cartons jaunes et rouges), coefficient UEFA. Les quatre meilleurs troisièmes seraient classés de 13 à 16. Les tableaux ci-dessous montrent ce qu’aurait été ce classement cette année. Cet exercice a ses limites : par exemple, avec ces nouvelles règles, l’Italie aurait certainement joué à fond son match contre l’Irlande et aurait sans doute obtenu un meilleur classement.

Une fois que les équipes sont classées de 1 à 16, le tableau « idéal », parfaitement équilibré, est le suivant. Cependant, il n’y a aucune raison qu’un tel tableau brasse bien les groupes : par exemple on voit que les équipes 1 (France) et 12 (Suisse) sont le vainqueur et le deuxième d’un même groupe, et ne peuvent donc pas se retrouver dans la même moitié de tableau. On va donc légèrement modifier ce tableau idéal de manière à garantir équilibre et brassage des groupes. Voici la solution que je propose.

On place les équipes 1 à 6 aux positions 1 à 6 du tableau idéal. Les équipes 1, 4 et 5 (France, Pays de Galles et Italie) se situent du côté gauche. En vertu de la règle de brassage des groupes, les deuxièmes des groupes correspondants (Suisse, Angleterre et Belgique) doivent donc être placés du côté droit. On décide de les placer aux positions 7, 10 et 11 du tableau idéal. Pour inciter les équipes à gagner tous leurs matchs, on place la moins bien classée de ces trois équipes (la Suisse) en position 11, face au vainqueur de groupe numéro 6, les deux autres équipes (Angleterre et Belgique) s’affrontant en positions 7 et 10.

Symétriquement, les équipes 2, 3 et 6 (Allemagne, Croatie et Hongrie) se situent du côté droit, et on applique la même règle pour placer les deuxièmes des groupes correspondants dans la moitié gauche : Islande en position 12 du tableau idéal, puis Pologne et Espagne en positions 8 et 9. À ce stade, tous les vainqueurs et deuxièmes de groupe sont placés dans le tableau final.

Reste à placer les quatre meilleurs troisièmes (cette année : 3B, 3C, 3E et 3F), de sorte que chaque quart de tableau contienne quatre équipes issues de quatre groupes différents. Dans 129 cas sur 135, c’est possible (Dans les 6 cas restants, un petit ajustement du tableau suffit). Cela aurait été possible cette année : puisque le quart « nord-est » du tableau aurait contenu l’Allemagne (C), l’Angleterre (B) et la Belgique (E), 3F (Portugal) aurait été le seul choix possible (ce qui aurait fait un quart de tableau très relevé sur le papier, même si un seul vainqueur de groupe y aurait figuré) ; symétriquement, le quart « sud-ouest » n’aurait pu accueillir que 3C (l’Irlande du Nord).

Les équipes 3B et 3E auraient indifféremment pu être placées dans les deux derniers quarts de tableau. Pour inciter les équipes à gagner tous leurs matchs, on aurait placé l’Irlande, plus faible des deux troisièmes restants, avec la France, meilleur des deux vainqueurs restants, et enfin la Slovaquie avec la Croatie. On aurait ainsi abouti au tableau suivant.

Avec un tel système, peu importe d’être tiré dans le groupe A, E ou autre. Ce sont les résultats sur le terrain qui comptent. L’UEFA pourrait ainsi décider d’apparier têtes de série et groupes en fonction de critères géographiques (faire jouer l’Angleterre à Lille et Lens, l’Italie à Nice et Marseille, etc.). De plus, ce système incite toutes les équipes à gagner tous leurs matchs, et ce avec la plus grande différence de buts : même si une équipe est déjà assurée de gagner son groupe, elle voudra gagner un maximum de points et marquer un maximum de buts lors de son dernier match de groupes afin d’améliorer son classement parmi les vainqueurs de groupe et de jouer contre un adversaire plus faible en huitièmes de finale.

Enfin, dans ce système, toutes les équipes devraient attendre la fin de la phase de groupes pour connaître leur adversaire en huitièmes de finale et les stades de leur parcours jusqu’en finale, ce qui peut compliquer un peu la logistique du tournoi, mais placerait toutes les équipes sur un pied d’égalité.