Manifestation contre la loi travail à la Bastille, à Paris, jeudi 23 juin. | Jean Claude Coutausse / french-politics pour Le Monde

« La manifestation la plus courte que j’ai jamais faite. » Jessica n’en revient pas. La manifestation contre le projet de loi travail porté par Myriam El Khomri s’est transformée en balade dans Paris pour la bénévole de « Street Medic », l’équipe de sauveteurs en tête du cortège. « J’ai vu le côté gauche de la place, puis le côté droit. » Soit 1,6 kilomètre en 46 minutes.

Comme elle, ils sont nombreux à déplorer ce parcours proposé par le gouvernement, et accepté par les syndicats : un aller-retour place de la Bastille, en faisant le tour du bassin de l’Arsenal. Un compromis trouvé après le vaudeville de la veille qui avait vu la préfecture interdire la manifestation le matin, avant que le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, ne finisse par l’autoriser à la mi-journée.

« Ce sera quoi après, plus de rassemblement ? Plus de spectacle de rue ? », s’interroge Inès, 25 ans, venue manifester pour « garder les droits déjà acquis et avancer ». Stéphanie, 37 ans, n’en est pas à sa première manifestation. « Celle-là est bizarre, mais comme toutes, elle est utile. » Pour elle, il était important de venir être comptée parmi les opposants au projet de loi travail. Ils étaient 60 000 selon les syndicats, 19 000 à 20 000 selon la police, à venir tout de même, par principe, tourner en rond autour du bassin de l’Arsenal.

« C’est une nasse »

« C’est une nasse, j’ai l’impression qu’on n’a pas eu le droit de manifester et qu’ils ont réussi leur coup », s’emporte Jérôme M., 41 ans, face à ce défilé qui n’en est pas vraiment un. L’allure est tranquille, le cortège clairsemé. Les premiers manifestants reviennent place de la Bastille en chantant. Nuit debout choisit un slogan anti-PS ; la CGT tente de rester positive : « Ensemble pour le retrait. »

A la fin du premier tour, certains refont le parcours à l’envers ; d’autres errent, désœuvrés, sur la place. Pas chassés, pas de bourrée… « On aura beau faire le tour 20 fois, on aura fini à 17 heures », sourit Jessica. Et il est à peine 15 heures, soit une heure après le top départ.

La Bastille s’était remplie au compte-gouttes, filtrée par les barrages policiers. Ni foulards, ni casques, ni tout ce qui peut servir de projectile. Ceux qui veulent absolument les garder sont refoulés. Certains sont arrêtés avant même de passer les barrières qui séparent le boulevard Richard-Lenoir du rendez-vous syndical. Inédit, le dispositif de sécurité mobilisait 2 000 policiers. En prévention, les vitres des arrêts de bus et des panneaux publicitaires avaient même été enlevées et un camion à eau déployé.

Un rassemblement pacifique

Un schéma presque impossible à mettre en place lors d’un défilé classique. Sur un parcours de 5,5 km de long comme ce fut le cas le 14 juin, lors de la précédente mobilisation contre le projet de loi travail, des dizaines de carrefours et de rues adjacentes devaient être surveillées. Les forces de l’ordre doivent « riper », c’est-à-dire se déplacer à mesure que le cortège avance. Il est par ailleurs inenvisageable d’installer des grilles de maintien de l’ordre – comme celles dressées sur les quatre ou cinq axes d’accès à la manifestation de jeudi.

Résultat : un rassemblement beaucoup plus pacifique que celui du 14 juin, où deux manifestants avaient été blessés et les vitres de l’hôpital Necker endommagées. Jeudi, la mobilisation s’est terminée dans un calme relatif. « Moi, je n’ai eu que des gens sympas », s’étonne même un CRS au barrage du boulevard Richard-Lenoir.

Certains ont bien tenté de se réunir spontanément place de la Bourse, mais ils ont été délogés en quelques minutes par les forces de l’ordre. D’autres n’ont pas voulu quitter la place de la Bastille, s’y asseyant comme à la fin d’une célébration difficile à quitter.

Si les CRS ont remis leur casque à plusieurs reprises à la fin de la mobilisation, anticipant des dérapages, il n’en a finalement rien été. La préfecture a recensé une centaine d’interpellations, mais aucune dégradation majeure.

Jessica la bénévole se réjouit de n’avoir eu à soigner personne. A 27 ans, Kévin, lui, fait toujours partie des manifestants pacifistes, mais il refuse de se désolidariser des potentiels casseurs. « Ça fait partie du truc. Le gouvernement durcit le ton alors les gens aussi. » Ce qui pourrait le faire basculer dans la violence ? Un mort. Ou un autre 49-3. « On essaie de nous faire croire que le code du travail est un fardeau pour notre société », alors il a envoyé des messages à ses amis pour qu’ils se retrouvent ici. Lui avait l’intention de venir depuis quelques jours, mais l’interdiction de manifester de la veille l’a conforté. « Pour la peine je viendrai aussi le 28 ! »

Le ministère de l’intérieur, lui, s’est félicité du déroulement de la manifestation du jour. A la tête de celui-ci, Bernard Cazeneuve s’est félicité des « conditions optimales » dans lesquelles l’événement s’est déroulé : « Il n’y a pas eu de casse, il n’y a pas du tout eu de heurt, il n’y a pas eu une grenade lacrymogène de lancée, il n’y a pas eu un blessé », saluant la coordination entre les forces de l’ordre et les syndicats.