Transfert de l'aéroport de Nantes Atlantiquer vers Notre-Dame-Des-Landes. Tractages sur le marché de Zola à Nantes le 23 juin 2016. | franck tomps pour Le Monde

S’il est difficile de prévoir le résultat du scrutin du dimanche 26 juin qui doit départager ceux qui sont « favorables au projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes » de ceux qui y sont opposés, ces derniers semblent avoir gagné le match des affiches et des autocollants. Sur l’ensemble du département de la Loire-Atlantique, les petits macarons jaune, rouge et noir qui disent « non à l’aéroport » sont bien plus visibles que leurs concurrents, bleu et blanc, vantant le « oui ».

Cette suprématie ne signifie pas pour autant victoire : les sondages indiquent un vote majoritaire, aux alentours de 60 %, en faveur du transfert de l’actuel aéroport nantais vers le petit bourg rural, à une vingtaine de kilomètres au nord de Nantes.

967 500 électeurs (le département compte plus de 1,3 million d’habitants) sont convoqués dimanche, mais, en dehors des riverains des deux sites en compétition, que pensent les habitants éloignés du champ de bataille ? Faut-il construire ou non un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes ?

« Il faut aller au bout »

A Clisson, charmant bourg médiéval, baigné par la Sèvre nantaise, à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Nantes, ce vendredi 24 juin, jour de marché, shorts et bermudas fêtent le retour du soleil. Vendeurs de légumes bio, fruits de mer de Noirmoutiers, traiteur asiatique, charcuteries de Vendée… se serrent sous la splendide charpente de chêne et de châtaignier des halles du XVe siècle.

Jour de marché à Clisson, vendredi 24 juin, au sud-est de Nantes. | Photo : R. Bx.

A quelques mètres de là, Laurence Neveu tient la petite librairie Le Vers libre. Elle se dit « très opposée » au projet d’aéroport. « J’ai été convaincue récemment, en voyant à la télévision un reportage sur les zones humides, je me suis renseignée et j’ai vu les incohérences des partisans du projet », explique la jeune femme. Laurence Neveu est aussi très énervée par le prosélytisme de la chambre de commerce. « J’ai reçu deux dossiers en faveur du nouvel aéroport et une affiche à apposer qui dit “Offrons des ailes à notre business, votons Yes”. Les moyens dont disposent les deux camps ne sont pas égaux. »

Alors, la libraire a fait la pub des opposants, en présentant en vitrine les ouvrages en faveur de l’écologie et en invitant Françoise Verchère, l’une des porte-parole du Collectif des élus doutant de la pertinence de l’aéroport (CéDpa), auteure de Notre-Dame-des-Landes, la fabrication d’un mensonge d’Etat (tim buctu éditions, 2016, 10 euros). Pourtant, ses beaux-parents qui résident à Bouguenais, la commune où se situe l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique, espèrent le transfert qui leur permettrait de vendre des terrains aujourd’hui non constructibles.

A Clisson, comme ailleurs dans le département, les avis sont partagés. Partisan du oui, le maire de la ville, Xavier Bonnet, sapeur-pompier de profession, ne sait dire si la participation sera importante. « Il faut aller au bout de ce projet, initié depuis des années plaide-t-il. Mais je crains que les gens répondent en fonction de leur intérêt et beaucoup veulent que l’aéroport reste au sud de la Loire. »

Clisson, charmant bourg médiéval à une trentaine de kilomètres au sud-est de Nantes, vendredi 24 juin. | Photo : R. Bx.

Voter « blanc »

De fait, en migrant vers Notre-Dame-des-Landes, au nord de l’agglomération nantaise, le nouveau site obligera ces habitants à passer la Loire, un franchissement rendu difficile par l’unique pont de Cheviré, souvent saturé.

A Corcoué-sur-Logne, à une trentaine de kilomètres au sud de Nantes, le fatalisme le dispute à l’exaspération. Patricia Chatry, 52 ans, tient le café-restaurant La Forge : « Certains clients disent qu’ils auraient du boulot avec le chantier, mais mon mari qui travaille dans le fret aérien et maritime ne voit pas trop l’intérêt de ce nouvel aéroport », témoigne Patricia. Ce qui dérange la patronne du petit restaurant, sur les rives de la Logne, ce sont d’abord les manifestations des extrémistes « qui vivent sur le dos de la société ». Patricia Chatry ne sait pas si elle ira voter. « De toute façon, ils ne tiennent jamais compte de nos votes. » Et puis, dit-elle, « pourquoi nous demander notre avis, alors qu’à six kilomètres d’ici, c’est la Vendée et eux ne votent pas ».

Claudine Brossat, elle, ira voter dimanche… « blanc ». « Je suis saturée, j’en entends parler depuis que je suis née [Claudine a 52 ans], les agriculteurs ont vendu leurs terres et continuent à les exploiter, ce n’est pas normal », dit-elle, tout en estimant qu’il serait préférable que l’aéroport reste à Château-Bougon, l’ancien nom de Nantes-Atlantique, parce que franchir la Loire, « c’est impossible ».

Claudine Brossat est bien informée, elle vend la presse, le tabac, et d’autres babioles aux quelque 2 800 habitants de ce village tranquille. Sur le trottoir, devant la boutique et face à l’imposante église Saint-Etienne, Ouest-France, le quotidien régional, affiche son titre : « Aéroport : deux maires au pied du mur ». Bonne citoyenne et mère de famille, Claudine pousse ses deux enfants à se déplacer dimanche. Son fils est convaincu que le nouvel aéroport sera « mieux pour l’avenir ». Sa fille, plus sceptique, votera blanc, comme sa mère.

« Tout a changé »

Une centaine de kilomètres plus au nord, à l’extrême pointe occidentale du département (à 90 km de Nantes), le petit village de Piriac-sur-Mer attend les touristes et les nombreux habitants de résidence secondaire, nantais, franciliens, mais aussi anglais. Voisine de stations balnéaires renommées, La Turballe et son port sardinier, Guérande et ses marais salants, Piriac, 2 200 habitants environ, affiche fièrement son identité bretonne. « Piriac, c’était Pen Kiriak [la « pointe mauvaise » en breton] et Waroch, le premier roi breton y a installé sa cour », professe doctement, Jean-Michel Burglin. Alors, pour lui faire honneur, ce Breton de Piriac, 54 ans, patron du restaurant le plus déjanté du bourg, La Commère, souffle dans son biniou chaque soir.

A l'extrême ouest de la Loire-Atlantique, Piriac-sur-mer, vendredi 24 juin. | Photo : R. Bx.

Ce vendredi soir, les Anglais présents en nombre discutent du « Brexit », mais l’autre référendum, local, sur le transfert de l’aéroport, anime aussi les débats. « J’étais pas contre, je ne suis pas pour, mais on mange de la terre tous les jours, on prend sur la nature pour construire partout, alors pourquoi ne pas le faire pour cet aéroport qui représente un apport capital », martèle Jean-Michel Burglin. Venue livrer le pain, Laurence Simon pense que « si ça ne s’est pas fait depuis tout ce temps, c’est qu’il y a bien une raison ».

Habitante de La Turballe, la boulangère préférerait que le transfert ne se fasse pas. Une incongruité pour Olivier Capsek, 67 ans, habitué de ces lieux festifs et retraité de la région parisienne vivant à Piriac. « Il faut avoir une vision, pour dans trente ans, et construire cet aéroport, la ligne grande vitesse Nantes-Rennes, un deuxième pont sur la Loire, assène l’ancien ingénieur agronome. Mais le gouvernement s’est mis dans une impasse, si ça ne se fait pas, cela va coûter un bras, et si cela se fait, les zadistes vont bloquer. Il fallait le faire dès le début. »

Plus calme, à la table voisine, Jacques Duval, 81 ans, et son épouse Claudine, 69 ans, fêtent leur retour à Piriac, après un long voyage en camping-car qui les a menés en Norvège. « De toute façon, on n’arrive plus à savoir ce qui est vrai, à croire toutes leurs expertises », résume cet ancien capitaine au long cours. Comme sa femme, il n’est pas sûr d’aller voter dimanche.

En face de La Commère, Bruno Lepronie tient la boutique de mode, où petites robes légères, vêtements de plage et sandales accueillent enfin l’apparition tardive d’un soleil estival. En faveur du nouvel aéroport, il a changé d’avis. « C’est un vieux projet qui semblait porteur de développement, mais tout a changé, le bruit des avions, la sécurité, le tout aérien, et je ne pense pas que l’aéroport soit vraiment saturé », dit Bruno. Il faudrait une nouvelle discussion, sereine, un scénario improbable aujourd’hui, craint-il.