La Grande Mine – ou Trou de mine de La Boisselle –, un symbole de la bataille de la Somme en 1916, au cours de laquelle près d’un million de soldats furent tués ou blessés. | Frederik Astier/Divergence

De tous les présidents de la Ve République, François Hollande est celui qui aura le plus goûté aux commémorations. Il a pourtant décidé de faire l’impasse, le 1er juillet, sur les cérémonies du centenaire de la bataille de la Somme, dont les combats ont été encore plus meurtriers que ceux de Verdun. Entre juillet et novembre 1916, près d’un million de soldats britanniques, français et allemands sont tombés, morts ou blessés, dans la boue du front de la Somme. Cette décision a été annoncée avant même que les résultats du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ne soient connus – les Britanniques ont dit « oui », vendredi 24 juin, au « Brexit ».

Des officiers français et britanniques dans une tranchée, lors de la Bataille de la Somme en 1916. | Coll. O. Calonge / adoc-photos / AW

Il n’empêche. « Les rapports de force du présent pèsent lourdement sur les commémorations et en parasitent le déroulement, comme l’ont montré les violentes polémiques qui ont accompagné les commémorations de Verdun, regrette l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau. De même, il n’est pas impossible que l’incertitude sur les résultats du référendum au Royaume-Uni ait pesé sur la décision d’une présence officielle française relativement discrète le 1er juillet pour la Somme. » A l’Elysée, on affirme effectivement le contraire : « Il ne s’agit aucunement d’une décision contre les Britanniques, insistait un conseiller du président. Nous ne faisons pas de la politique à court terme. »

L’occasion de célébrer l’amitié franco-britannique

Jusqu’à présent, les commémorations mises en scène par la France à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre n’avaient guère mis l’accent sur la dimension franco-britannique. Réfléchie bien en amont, celle de la bataille de la Somme devait être l’occasion de célébrer la longue amitié entre la France et la Grande-Bretagne.

Outre-Manche, cette bataille titanesque occupe en effet dans la mémoire collective un statut équivalent à celle de Verdun, au point de symboliser l’ensemble de la première guerre mondiale. Tous les Britanniques savent que le 1er juillet 1916 est le jour le plus sanglant de leur histoire : 20 000 soldats venus des quatre coins de l’Empire ont trouvé la mort. Et les gouvernements français et britannique, qui ont organisé conjointement la cérémonie internationale à Thiepval, comptaient sur la présence des deux chefs d’Etat.

Cette ambition a été douchée lorsqu’à Londres la famille royale a placé en tête de son agenda 2016 les 90 ans de la reine Elizabeth II, le 21 avril. Seuls le prince Charles et ses fils, William et Harry, se rendront dans la Somme, le 1er juillet, aux côtés des 8 000 Britanniques tirés au sort. Quant au premier ministre David Cameron, rien n’est moins sûr. La reine d’Angleterre se contentera d’une veillée aux chandelles à l’abbaye de Westminster, le 30 juin, avant de se rendre en Ecosse, le lendemain.

Deux participants à une reconstitution devant le medaillon de la Bataille de la Somme, au mémorial de la Grande Guerre de Thiepval. | Francis Bertout

A l’Elysée, on souligne que la non-venue de François Hollande n’a donc rien de surprenant. Il sera remplacé par le premier ministre, Manuel Valls. France 2 a pour sa part annulé la retransmission de la commémoration. « Le général de Gaulle n’est pas allé dans la Somme commémorer avec son homologue britannique le cinquantenaire de la bataille, pas plus que ses successeurs n’ont assisté aux commémorations décennales », ajoute un conseiller du président.

Des commémorations conservatrices

Pour retrouver trace d’une grande cérémonie commune dans la Somme, il faut remonter à 1932 : le président Albert Lebrun et le prince de Galles, le futur Edouard VIII, avaient inauguré le mémorial de Thiepval, sur lequel sont inscrits les noms des 72 000 soldats de l’Empire britannique disparus sur les champs de bataille de la Somme entre juillet 1915 et mars 1918.

« L’absence de François Hollande montre que les commémorations de l’année 1916 restent fondamentalement conservatrices : passage obligé de la commémoration de la bataille de Verdun et de la célébration de l’amitié franco-allemande, mais au prix de l’oubli relatif de la Somme, déplore Stéphane Audoin-Rouzeau. Pour le chef de l’Etat, aller dans la Somme et lier ainsi les deux grandes “batailles de matériel” de l’année 1916, c’eût été plus original, et aussi plus près d’une forme de “devoir d’histoire”. »

Des tranchées datant de la guerre de 1914-1918, à Beaumont-Hamel. | Hervé Bouet/Divergence