Après l’interdiction puis l’autorisation donnée, mercredi, par le gouvernement à la manifestation contre le projet de loi travail jeudi 23 juin à Paris, Michel Noblecourt, journaliste du Monde qui suit les organisations syndicales, a répondu, lors d’un chat, aux questions des internautes.

Pourquoi les syndicats ont-ils refusé la manifestation statique tout d’abord proposée par le gouvernement ?

Les syndicats ont considéré qu’un rassemblement statique était une très mauvaise solution et qu’il ne remplissait pas les conditions minimales de sécurité, les manifestants en position immobile pouvant être facilement la cible d’éventuels « casseurs ».

S’agit-il d’un accord où personne ne perd la face ou d’une confirmation du principe constitutionnel du droit de manifester ?

Dans cette histoire, c’est quand même le gouvernement qui perd la face. A 9 heures, la préfecture de police de Paris interdit la manifestation et à 12 heures, l’interdiction s’est envolée à l’issue d’un entretien de Philippe Martinez et de Jean-Claude Mailly avec Bernard Cazeneuve. Les syndicats ont dû revoir à la baisse leurs ambitions quant à cette manifestation, mais, à l’arrivée, ils sortent victorieux car ils ont fait plier le premier ministre, partisan de l’interdiction. C’est surtout le cas de Philippe Martinez, secrétaire général de la Confédération générale du travail, Manuel Valls ayant choisi la CGT comme cible.

A-t-on une idée de l’ampleur de la mobilisation de demain à Paris ?

C’est difficile à anticiper car la manifestation sera concentrée sur un trajet court, deux fois 800 mètres autour du bassin de l’Arsenal. Les conditions ne sont pas remplies pour une manifestation massive. Mais, comme l’a dit Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, la tentation du gouvernement d’interdire la manifestation « nous a fait de la pub ». Du coup, il devrait y avoir du monde.

Que pensez-vous du dimensionnement du parcours ? N’est-il pas trop court pour absorber le flux des manifestants ? Quid également de la dispersion, peu aisée dans ce quartier et où les commerces sont nombreux ? Les risques de casse ne sont-ils pas d’ores et déjà évidents ?

Trois petits tours autour du bassin de l’Arsenal et puis s’en vont. Cette manifestation va rester dans les annales de l’histoire syndicale à cause de son caractère abracadabrantesque. Il est sûr que cela ne permettra pas une manifestation très massive. On ne peut pas exclure des incidents mais le parcours sera très sécurisé et les risques de casse devraient être limités.

La CGT n’est-elle pas enfermée dans son intransigeance du début (le retrait ou rien) ? A-t-elle un autre choix que d’aller au bout (hypothétique) ?

La CGT continue à demander le retrait de la loi travail, mais elle n’en fait plus un préalable à l’ouverture de discussions avec le gouvernement. Elle a ainsi rencontré vendredi Myriam El Khomri pour une première prise de contact, qui a été jugée constructive, où elle a insisté sur la réécriture de certains articles, notamment de l’article 2, qui consacre l’inversion de la hiérarchie des normes.

A l’intransigeance de la CGT répond l’intransigeance de Manuel Valls, qui ne veut pas toucher à cet article 2, le cœur nucléaire de la réforme. Mais avant l’épisode « interdiction de la manifestation du 23 juin », la CGT était à l’évidence à la recherche d’une porte de sortie.

Le recul du gouvernement sur l’« interdiction » va forcément devenir un symbole fort pour le front syndical et la majorité de la population (60 %) opposée à la loi travail. M. Valls, partisan de la ligne dure, étant désavoué, on devrait aller vers un rebond de la mobilisation et pourquoi pas vers une renégociation de l’article 2. Qu’en pensez-vous ?

Manuel Valls agit à contre-emploi. Sa charge contre la CGT après les violences du 14 juin et sa volonté d’interdire la manifestation du 23 juin sont survenues à un moment où une sortie de crise était en train de s’esquisser. Les grèves avaient disparu du paysage. La mobilisation enregistrait une décrue. Le contact était renoué entre les syndicats hostiles à la loi et le gouvernement. Et c’est le moment qu’a choisi le premier ministre pour remettre trois sous dans la machine et relancer la contestation.

Je ne suis pas sûr pour autant que le rebond de mobilisation soit durable puisque l’interdiction de manifester a été levée. Quant à une renégociation de l’article 2, la marge est très étroite, la CFDT, seule organisation à soutenir pleinement la loi avec la CFTC, insistant pour qu’on n’y touche pas.

On parle beaucoup d’une perte de contrôle de la part du service d’ordre de la CGT, qui serait beaucoup moins efficace qu’avant. Est-ce exact ? Ou peut-on imaginer qu’il y ait une stratégie ?

Le service d’ordre de la CGT a la réputation d’être costaud, mais il a dû faire face à des attaques de « casseurs » auxquelles il ne s’était pas préparé. A la suite de cela, certains membres du service d’ordre se sont équipés de bâtons. Mais je ne vois pas l’intérêt qu’aurait la CGT à favoriser les « casseurs ». Au soir du 14 juin, les médias ne parlaient que des violences et pas du tout de la loi travail.

On n’entend pas Laurent Berger. Comment se positionne la CFDT dans tous ces aléas et par rapport à une éventuelle négociation avec les contestataires ?

Laurent Berger s’est exprimé. Mardi, il a jugé qu’il n’était pas « souhaitable » d’interdire la manifestation, notamment parce qu’il n’a pas envie qu’on « victimise la CGT ». Mercredi, après l’annonce du préfet de police de Paris, la CFDT a condamné l’interdiction de manifester, estimant que c’était une atteinte à un principe constitutionnel.

Une négociation avec les « contestataires » ne semble pas être à l’ordre du jour. Laurent Berger ne veut pas qu’on touche à l’article 2 de la loi et a déclaré plusieurs fois qu’il ne voulait pas qu’il soit « dénaturé », en donnant par exemple un pouvoir de contrôle des accords d’entreprise aux branches.

Quelles sont aujourd’hui les positions des organisations syndicales qui étaient initialement favorables au projet de loi ?

La CFDT, qui avait obtenu, lors de la présentation de l’avant-projet de loi El Khomri, la plupart des modifications qu’elle demandait, notamment l’abandon du plafonnement des indemnités prud’homales, soutient totalement le texte et veille à ce que, pour l’essentiel, il ne bouge pas. La CFTC est sur la même ligne.

L’UNSA, qui d’habitude est dans la roue de la CFDT, s’est démarquée et se montre critique envers l’inversion de la hiérarchie des normes et le référendum d’entreprise. Mais le changement de pied le plus notable vient de la CFE-CGC, qui au départ exprimait quelques réserves mais était plutôt dans le soutien.

Depuis l’élection, le 1er juin, de son nouveau président, François Hommeril, elle affiche désormais son opposition à ce texte. Elle n’en demande pas le retrait et ne participe pas aux manifestations, mais elle a réclamé une « suspension » du débat parlementaire et l’ouverture d’une négociation entre les partenaires sociaux, notamment sur l’article 2.

Le front commun CGT et FO, que l’on constate sur la loi travail, présage-t-il d’un rapprochement entre les deux centrales ou ne s’agit-il que d’une affaire de circonstance ?

Il s’agit d’une alliance de circonstance. La CGT et FO n’ont pas la même analyse des relations sociales en France, la centrale de Jean-Claude Mailly signant plus d’accords au niveau interprofessionnel que la CGT. Il ne faut pas non plus oublier que FO est née d’une scission en 1947 de la CGT, qu’elles sont en concurrence dans les entreprises pour leur représentativité. Par ailleurs, au sein de FO, il y a un certain nombre de fédérations, comme celle de la métallurgie, qui acceptent mal le « main dans la main » avec la CGT.

Quel est le poids des syndicats en France ? Combien de salariés sont-ils vraiment syndiqués ?

La France a un des taux de syndicalisation les plus faibles des pays industrialisés. La plupart des « experts » s’accordaient sur un chiffre global de 8 % de syndiqués, dont moins de 5 % dans le secteur privé. Mais une étude du ministère du travail, qui date du mois d’avril, a revu les chiffres à la hausse en indiquant qu’en 2013 le taux de syndicalisation était de 11,2 %.