Bonne nouvelle, la CGT sait arrêter une grève. En refusant de s’opposer à l’accord d’entreprise à la SNCF ainsi qu’à l’accord de branche, la centrale syndicale met fin au conflit qui à déjà fait perdre 300 millions d’euros au transporteur ferroviaire. Fidèle à l’esprit de Maurice Thorez en 1936, le syndicat assure que « la stratégie de la terre brûlée n’est pas la conception CGT du syndicalisme ». On finissait par en douter un peu au vu des mouvements violents de ces dernières semaines, dont la dernière et curieuse manifestation giratoire d’hier sonne visiblement la fin.

L’issue n’était pourtant pas si évidente. Bien sûr, cet accord signé par les seuls syndicats « réformistes » CFDT et UNSA est extrêmement avantageux pour les cheminots. A ce titre, la CGT peut légitimement se féliciter de la mobilisation nationale qu’elle a suscitée ces dernières semaines et qui a poussé le gouvernement à forcer la main aux dirigeants de la SNCF. Un refus pur et simple aurait rendu l’accord caduc et conduit à revenir à des règles définies par décret, in fine moins favorables.

La société change par le bas

Mais cette forme d’acceptation tacite (je ne le vote pas mais je ne m’y oppose pas) du texte par la CGT revient aussi à valider une disposition au cœur de la lutte contre la loi El Khomry. Dorénavant, des établissements locaux pourront négocier des accords moins avantageux que l’accord national pour améliorer leur ­compétitivité, si une majorité des signataires de l’accord, donc la CFDT et l’UNSA, l’autorisent, et la CGT ne pourra s’y opposer. « C’est ni plus ni moins l’application de l’article 2 de la loi El Khomry à la SNCF », s’est exclamé un membre du bureau fédéral de SUD-Rail dans les colonnes de L’Humanité.

Ce faisant, la décision de la centrale de Montreuil est aussi une reconnaissance de la réalité du terrain. Les entreprises n’ont pas attendu la loi El Khomry pour conclure des accords d’entreprise moins favorables que ceux des branches. La tendance est même aujourd’hui aux négociations au niveau des établissements ou des usines. STX, Valeo, Bosch, Michelin, les pactes de compétitivité fleurissent partout, une pratique quasi inconnue il y a trente ans. Et, phénomène étrange, la CGT signe 80 % de ces accords, soit deux fois plus qu’au niveau national. Invité du Club de l’économie du Monde ce mercredi 22 juin, le PDG de Saint-Gobain, Pierre-André de Chalendar, reconnaissait que le niveau de dialogue avec la CGT de son entreprise était très bon et n’avait rien à voir avec la crispation nationale qui s’exprime en ce moment dans les rues de France.

Le rapport de force leur est moins favorable, surtout au niveau des petites entreprises, mais la proximité du terrain est aussi plus ­propice à la compréhension mutuelle et ­débarrassée des enjeux politiques. Dans tous les domaines aujourd’hui, la société change par le bas, pas par le haut. Et la CGT aussi est en train de le comprendre.