Le Mont-Saint-Michel, joyau du patrimoine français. | DAMIEN MEYER / AFP

C’est le soulagement. Le texte commun élaboré, le 15 juin, par la Commission mixte paritaire, et annexé au Projet de Loi relatif à la liberté de la création à l’architecture et au patrimoine (LCAP), a calmé le jeu. Il a fallu trois ministres, presque trois ans de très vifs débats, deux aller-retours entre les deux assemblées et 451 amendements pour que la loi, comptant 118 articles (dont 43 réécrits) soit, mardi 21 juin, adoptée à L’Assemblée, avant de l’être au Sénat la semaine prochaine puis au vote solennel.

  • Volet patrimoine

« On revient de très très loin. C’est une bonne loi », reconnaît Fabien Sénéchal, président de l’Association nationale des Architectes de bâtiments de France (ANABF). Ces fonctionnaires du ministère de la culture qui, sur le terrain, veillent à la sauvegarde et à la mise en valeur des édifices et périmètres historiques, très inquiets de la première mouture du texte, bataillaient en coulisse pour se faire entendre. Et avec raison . Un siècle après la première loi, en 1913, de protection des monuments historiques, Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture, présentait son projet de « Loi des patrimoines » (Le Monde, 14 septembre 2013).

Dans son sillage, Fleur Pellerin, qui a repris le flambeau, affrontera la colère des élus de tous bords, abassourdis par le désengagement annoncé de l’Etat dans son rôle de protection du patrimoine national (Le Monde, 11 juillet 2015). Dans un souci de simplification, l’appareillage sophistiqué de protection (Secteurs sauvegardés mis en place en 1962 par Malraux, et Zones de protection (ZPPAUP) initiées par Jack Lang, dans le cadre de la loi Deferre de décentralisation de 1983), outils juridiques contraignants initiés par l’Etat, seraient « basculés » dans le Plan local d’urbanisme (PLU), lequel est modifiable à l’envi par le maire.

Fronde des élus

Audrey Azoulay, à peine nommée ministre, se rendait à Figeac (Lot), ville d’art et d’histoire dotée d’un patrimoine médiéval d’exception, et y mesurait l’importance de la restauration d’un Secteur sauvegardé, comme celle de l’engagement de l’Etat pour son aspect contraignant. Dans la foulée, le dialogue de sourds entre l’Etat et les élus cessa.

Jusque dans les rangs du parti socialiste la fronde des élus alors grondait. Les ténors n’étaient pas en reste, comme Jack Lang qui lançait: « L’Etat restera-t-il l’Etat ? » (Le Monde, 28 septembre 2015) ou encore Hubert Védrine qui cosigna le cri d’alarme à François Hollande de Martin Malvy, ministre de François Mitterrand, ancien président de la région Midi Pyrénées, président de l’Association nationale des villes et pays d’art et d’histoire et des villes à secteurs sauvegardés et protégés.

Aujourd’hui, Martin Malvy prend « acte avec satisfaction de la qualité du travail parlementaire qui a été celle de Mme Azoulay… qui a favorisé cette heureuse conclusion ». La création des Cités historiques est remplacée par celle des « Sites patrimoniaux remarquables». Ces périmètres protégés ont pour servitude deux documents réglementaires, un Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) des secteurs sauvegardés ou, selon le niveau de protection choisi, un Plan de valorisation de l’Architecture et du patrimoine (PVAP) moins contraignant. Ces documents dépendent du code du patrimoine et non pas du PLU. La Commission nationale du patrimoine et de l’architecture garde ses prérogatives. Les élus auront l’obligation de mettre en place les outils de gestion adéquats, avec l’aide technique et financière de l’Etat.

La mesure du poids économique et social que représente la mise en valeur du patrimoine et donc sa sauvegarde est officialisée le 15 avril, alors que Manuel Valls confiait, dans une lettre à l’ancien sénateur et maire de Chinon, Yves Dauge, très engagé sur cette question, « une mission destinée à définir les contours d’un plan national d’accompagnement de la mise en œuvre de ces nouveaux espaces protégés », pour une revitalisation des « centres bourgs », hameaux et villages. Le tourisme patrimonial comme enjeu et le travail des parlementaires ont changé la donne. Reste les décrets d’application où la vigilance devra s’imposer.

  • Volet architecture

« Quarante ans après le vote de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture, les architectes peuvent se réjouir » : ainsi s’est exprimé, lundi 20 juin, la présidente du Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA), Catherine Jacquot. Toutefois, si l’Assemblée nationale a plutôt suivi les recommandations du député (PS) Patrick Bloche, rapporteur du projet de loi et initiateur, dès 2014, de la mission d’information sur la création architecturale, le Sénat s’est d’avantage fait prier, notamment soumis à la pression des lobbys de la construction individuelle.

Les dispositions les plus emblématiques de la loi, validée par la Commission mixte paritaire du Parlement, adoptée en vote solennel le 21 juin à l’Assemblée nationale, avant de l’être, dans une semaine, par la Haute assemblée, répondent, selon le CNOA, à « la nécessité d’une qualité architecturale, paysagère et environnementale dans les constructions du quotidien et sur les territoires ruraux comme urbains. »

Première d’entre elles, l’abaissement de 170² à 150 m² de surface de plancher, du seuil d’intervention de l’architecte, garant de cette qualité. La disposition s’accompagne d’une mesure particulièrement incitative : la possibilité donnée aux collectivités de réduire les délais d’instruction des permis de construire établis par un architecte pour des projets inférieurs à 150 m².

Une phase de dialogue

Egalement au menu de la loi: l’innovation et l’expérimentation. Le « permis de faire », réservé aux équipements publics, a été étendu aux logements sociaux, et à certaines opérations d’aménagement. Pour concevoir leurs projets, les constructeurs pourront, par exemple, recourir au réemploi de matériaux.

Si la loi affirme la nécessité de soumettre à concours les opérations publiques, elle précise qu’une phase de dialogue, non anonyme, doit s’établir entre les derniers candidats retenus et le jury, cela avant le choix du lauréat. « La bataille la plus rude », reconnaît, enfin, le CNOA, fut le débat autour du « permis d’aménager » afin d’« en finir avec la médiocrité des lotissements ». La présence d’un architecte devient obligatoire pour leur aménagement au-delà d’un seuil de surface de terrain qui sera fixé par décret. S’exprimant, mardi 21 juin, au nom du groupe Les Républicains, le député François de Mazières a regretté « que n’aient pas été insérés à côté des architectes, les paysagistes conseils qui sont tout autant compétents ». Sachant que ladite « France moche » souffre de l’éparpillement de petits programmes pavillonnaires, le combat du CNOA sur la question du seuil est loin d’être achevé.