Philippe Martinez (CGT) et Jean-Claude Mailly (FO) au ministère de l’intérieur, le 22 juin. | STEPHANE MAHE / REUTERS

En fin de matinée, mercredi 22 juin, au siège de la CGT à Montreuil (Seine-Saint-Denis), Bernadette Groison (FSU), Cécile Gondard-Lalanne (Solidaires) et les organisations de jeunesse patientent. Elles attendent le retour de leurs deux missi dominici, Philippe Martinez (CGT) et Jean-Claude Mailly (FO), partis rencontrer en urgence Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, après l’annonce de l’interdiction de manifester le 23 juin à Paris. Un communiqué a été prérédigé pour fustiger cette « remise en cause grave d’une liberté fondamentale » et prévenir que les sept organisations qui demandent le retrait de la loi travail ne se laisseraient pas intimider. Auraient-elles bravé l’interdit ? Nul ne le saura. Lorsque MM. Martinez et Mailly reviennent, c’est le coup de théâtre : la manifestation parisienne est autorisée…

Devant la presse, en nombre, les deux secrétaires généraux clament à l’unisson que c’est « une victoire pour les syndicats et la démocratie ». Puis M. Martinez lit un communiqué commun : « Le gouvernement avait franchi un nouveau cap dans sa volonté de bâillonner le mouvement social, en interdisant la manifestation parisienne du 23 juin. (…) Après des discussions serrées avec le ministre de l’intérieur, les organisations syndicales et de jeunesse ont obtenu le droit de manifester à Paris le 23 juin, sur un parcours proposé par le ministre de l’intérieur, ainsi que l’autorisation de manifester le 28 juin, selon des modalités à discuter avec la préfecture. » M. Martinez, qui avait prévu de défiler à Bordeaux, a changé ses plans et il sera à Paris aux côtés de son homologue de FO.

M. Cazeneuve a renoncé à imposer un « rassemblement statique », refusé par les syndicats, mais il a inventé une nouvelle manifestation, en boucle. Les opposants à la loi travail défileront de Bastille à Bastille et feront l’aller et retour (soit 1,8 km) autour du bassin de l’Arsenal. Le lieu est hautement symbolique, puisque ce point d’eau a été creusé en 1789, après la destruction de la Bastille, pour remplacer le fossé qui remplissait les douves de la forteresse en eau de la Seine. Nul doute que cette manifestation, qui ne pourra être massive compte tenu de la brièveté du parcours, et qui sera fortement sécurisée, restera dans les annales syndicales du fait de son caractère abracadabrantesque.

« Coup de pub »

Mais la CGT et FO ont obtenu l’essentiel : elles ont fait plier le gouvernement, l’obligeant à faire marche arrière. La victoire est particulièrement nette pour M. Martinez, qui a ainsi remporté son bras de fer, non sur le retrait de la loi mais sur le droit de manifester, avec Manuel Valls. L’annonce de l’interdiction avait suscité un tollé allant bien au-delà des opposants à la loi El Khomri. Avec une promptitude remarquée, la CFDT, qui se plaint d’être de plus en plus souvent la cible des militants de la CGT, avait « condamné l’interdiction des manifestations », soulignant qu’« il est indispensable de trouver les moyens pour assurer la sécurité des personnes et des biens, en lien avec les organisateurs ». L’UNSA rappelait que « le droit de manifester est un élément démocratique fondamental ». La CFE-CGC réaffirmait son « attachement indéfectible au droit de manifester », exhortant le gouvernement « à redonner toute la place et le temps nécessaires aux échanges pour favoriser une authentique sortie de crise ».

La volonté de M. Valls d’interdire les manifestations a dérouté les syndicats. Elle est intervenue à un moment où la situation sociale semblait se décrisper : les grèves ont disparu du paysage, la mobilisation n’a pas connu le rebond attendu le 14 juin, le dialogue avait été renoué entre Myriam El Khomri, la CGT et FO. Pour Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, ce faux pas sur l’interdiction « redonne un peu d’élan à ceux qui n’en avaient plus ». M. Mailly s’est même félicité du « coup de pub » donné à la manifestation du 23 juin.

Du coup, les opposants à la loi travail sautent la case Matignon et s’adressent directement au président de la République. Notant qu’il n’a toujours pas répondu à leur demande d’audience, en date du 20 mai, les sept organisations ont affirmé que « le président Hollande n’a d’autre issue, pour sortir de cette impasse, que de réunir les organisations syndicales et de jeunesse très rapidement ». « Nos propositions permettent à tout le monde de sortir par le haut », a insisté M. Mailly, sans en révéler le contenu. « Je n’ai aucune envie de les aider à en sortir », confie M. Berger, qui récuse d’avance « tout petit bidouillage pour essayer d’éteindre le feu ».