Theresa May devant le 10 Downing Street, à Londres, le 12 juillet. | Kirsty Wigglesworth / AP

Editorial du « Monde ». Au Parti conservateur britannique, une adulte a repris les commandes. Fille de pasteur anglican, six ans ministre de l’intérieur à poigne, pro-européenne sans excès, Theresa May, 59 ans, nouvelle première ministre de Sa Majesté, va avoir une lourde charge : dégager son pays de l’Union européenne, tout en renouant immédiatement une relation forte et étroite avec ladite Union…

David Cameron a quitté son poste de premier ministre avec une désinvolture seigneuriale : caméras et micros l’ont saisi chantonnant juste après avoir annoncé son départ de Downing Street – pas plus concerné que s’il venait de perdre une partie de croquet. On lui doit tout de même l’idée de ce référendum perdu sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE, et la crise qui en résulte et risque, au passage, de casser les maigres perspectives de croissance en Europe (y compris en Grande-Bretagne). Du côté des conservateurs qui ont mené la campagne pour le Brexit, la débandade est complète. Aucun n’a semblé avoir le début des qualités requises pour diriger le gouvernement – ni être particulièrement convaincu des mérites du Brexit. Boris Johnson, Michael Gove et Andrea Leadsom pourraient figurer dans une bande dessinée ayant pour titre : « Les Aventures des Pieds nickelés en politique ».

La démocratie représentative reprend ses droits

Mme May n’appartient pas à cette famille, celle des dilettantes. Elle prend la politique plutôt au sérieux. Elle hérite du Brexit dont elle ne voulait pas. Après une campagne où il a été très peu question de l’Europe et beaucoup de l’immigration, le « non » à l’UE l’a emporté par 51,9 % des voix. Que la nouvelle première ministre n’appartienne pas à la troupe des « brexiters » ne semble choquer personne en Grande-Bretagne : la démocratie représentative reprend ses droits. C’est le charme de la politique outre-Manche, elle est moins sectaire que chez nous.

La première ministre est d’accord avec les « brexiters » sur un point : l’immigration est au cœur du « non » à l’Europe

Mme May l’a dit : elle appliquera le Brexit. Elle a ajouté qu’elle voulait en faire un « succès ». Elle est trop empiriste, pragmatique et expérimentée pour se payer de mots. On ne l’entendra pas se saouler d’odes à la souveraineté retrouvée du royaume, comme le ferait un souverainiste hexagonal. Elle va organiser la sortie du pays de l’UE, tout en aménageant la manière la plus subtile de rester dedans. L’avenir économique de la Grande-Bretagne est « avec » le marché unique européen, qui absorbe 47 % des exportations britanniques, l’Europe étant le plus gros client des services de la City.

Mme May n’est pas pressée. Elle doit composer son gouvernement, notamment choisir celui ou celle qui sera chargé de la négociation avec les Vingt-Sept. Elle doit dessiner les grandes lignes d’un plan de sortie. La première ministre est d’accord avec les « brexiters » sur un point : l’immigration est au cœur du « non » à l’Europe, pas autre chose. Comment concilier le maintien de l’accès au marché unique avec le contrôle retrouvé sur l’immigration intra-européenne ? Ce sera le cœur de la négociation. Beaucoup dépendra de la relation que Mme May va nouer avec une autre grande empirique, la chancelière Angela Merkel.

Son projet au point, Mme May éprouvera le besoin de le soumettre à la Chambre des communes avant d’aller à Bruxelles et de solliciter l’ouverture d’une négociation de sortie de deux ans, renouvelables, avec les Vingt-Sept. La sortie de l’Union européenne, c’est un peu comme la vie dans l’UE : une négociation permanente. Parce que sur un même continent, on vit ensemble.