Lancer de « mortiers » - Sorbonne Universités - 11/06/16 | LAURENT ARDHUIN

« Le pompon de la toque, il se met à droite ou à gauche ? » A quelques minutes du début de la cérémonie, Vincent Vercamer, 28 ans, essaie d’ajuster son « déguisement » du jour : la traditionnelle toge des diplômés et sa fameuse coiffe rectangulaire. Le tout n’est « pas très seyant », voire « un peu ridicule », selon ce jeune docteur en physique-chimie de l’Université Pierre et Marie Curie (UMPC). Mais il se prête avec plaisir au jeu, solennel, de ce samedi après-midi du mois de juin, comme près de 400 néodiplômés de Sorbonne Universités (regroupement de 11 établissements publics d’enseignement supérieur).

A l’issue de celui-ci, pour la tradition et les photos, aura lieu le fameux lancer de « mortier », autre appellation de cette toque qu’il réussit enfin à faire tenir sur sa tête. « Ce n’est pas la cérémonie qui fait le diplôme », commente Vincent, pour qui la « vraie cérémonie » a eu lieu lors de la soutenance en février, « mais c’est l’occasion de revoir les camarades qu’on n’avait pas vus depuis les études ».

Dans le sillage des grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs, mais surtout des universités anglo-saxonnes, la cérémonie solennelle de remise des diplômes marque son retour dans les universités françaises, qui tentent de faire oublier le temps où les diplômés allaient chercher leur parchemin directement, et discrètement, auprès des services administratifs.

Concrétisation du travail fourni pendant le cursus universitaire autant que valorisation de l’établissement de formation, ces rendez-vous concernent avant tout les fins de masters et de doctorats. Toutes les universités sont concernées par le phénomène, dans une ou plusieurs filières. Au grand bonheur des professionnels du secteur : « La demande est croissante depuis dix ans », se réjouit Kevin Joubert-Rouquis, responsable de l’activité du site diplomissimo.com, spécialisé dans la vente et la location d’accessoires rituels de remise des diplômes. « Cela représente 10 à 15 % de notre chiffre d’affaires », explique de son côté Fabrice Casano, du site Leslauréats.com.

Show millimétré

Toge ou simple écharpe colorée autour du cou, coiffes rectangulaires ou non, discours institutionnels interminables ou plus rapides ; le faste de la réception dépend à la fois du prestige du diplôme obtenu, mais aussi de l’histoire… et du budget de l’institution. « Faute de moyens, c’est encore assez confidentiel par rapport aux écoles de commerce ou d’ingénieurs, mais il y a une vraie volonté des universités de développer des cérémonies plus importantes », commente Fabrice Casano. En la matière, nos docteurs du jour ne sont pas les plus à plaindre. Sorbonne Universités a donné rendez-vous à Vincent et à ses camarades docteurs sous le somptueux décor du cinéma le Grand Rex, pour un show millimétré.

Entrée solennelle du corps professoral en robe universitaire. Hommage à Georges Molinié, ancien président de Paris-Sorbonne, décédé en 2014, dont la promotion 2016 porte le nom. Puis les docteurs sont appelés un à un sur scène.

« Ici, on est dans quelque chose de très solennel, de très théâtralisé et ritualisé »
Thierry Nerrembourg, agence événementielle Formule magique

Le titre complet de leur thèse est donné et le diplôme est remis sous les applaudissements. Les familles, depuis le balcon, immortalisent le moment. « Ici, on est dans quelque chose de très solennel, de très théâtralisé et ritualisé, commente Thierry Nerrembourg, le patron de l’agence événementielle Formule magique qui organise le show, ce n’est pas toujours comme ça. » Son équipe, composée d’une vingtaine de personnes pour l’occasion, est là pour accueillir et guider les diplômés, gérer la captation vidéo du spectacle, etc. « Chaque personne est à son poste afin qu’aucun grain de sable ne vienne enrayer la machine. »

Pour éviter que le très long défilé des docteurs « ne soit trop ennuyeux », l’agence a imaginé une double scène par où entrent et sortent plus rapidement les diplômés.

Des cérémonies à l’américaine… codifiées par Napoléon

Comme Vincent, notre docteur en physique-chimie, de nombreux « déguisés » du jour imaginent que la cérémonie, les toges et les coiffes qui seront lancées à la fin du show, viennent tout droit des pays anglo-saxons. A tort. « Il n’y a pas d’influence américaine dans ces costumes », corrige l’historien Claude Lelièvre. Coiffes rectangulaires et toges académiques remontent en fait au… XIIIe siècle, et aux premières universités européennes. Parmi lesquelles une certaine Sorbonne.

D’abord portés par les étudiants et les professeurs dans des bâtiments qui n’étaient pas toujours chauffés, ces costumes se sont généralisés « tout au long de l’ancien régime du XIIIe au XVIIIe siècle ». Les cérémonies de remise des diplômes ont suivi le mouvement.

Napoléon codifie le port des toges académiques dans un décret du 31 juillet 1809. « N’ayant jamais été aboli, ce décret est en théorie toujours en usage aujourd’hui », précise l’historien. Mais entre-temps, en France, Mai 1968 est passé par là, balayant temporairement une tradition jugée passéiste, « sur fond de critique de la distinction, des honneurs, de la théâtralisation, etc. ». Mais la tradition, française à l’origine, est restée vivace à l’étranger. Le récent retour en force, et en légitimité, des cérémonies de remise des diplômes est donc, selon Claude Lelièvre, plus à mettre sur le compte « d’une internationalisation ancienne des traditions, plutôt que d’une américanisation récente ».

Quelques minutes avant le show, les loges du corps professoral sont en pleine effervescence. A chacun son costume, présidents et professeurs d’université sont eux aussi en train de vêtir les toges académiques. Avant de mettre la sienne, le directeur du Centre d’études sociologiques de Paris-Sorbonne, Pierre Demeulenaere, commente :

« Tous les grands événements de la vie sociale sont accompagnés de rituels qui correspondent à des traditions. (…) La robe et la cérémonie sont un héritage qui n’avait jamais vraiment disparu. »

Décret de 1809 oblige, lui portera une robe de couleur « jonquille », celle des littéraires, le « rouge écarlate » étant réservé aux juristes, l’« amarante » aux scientifiques, etc.

La robe de couleur « jonquille » pour les littéraires, le « rouge écarlate » pour les juristes, l’« amarante » pour les scientifiques, etc. | Severin Graveleau

Sentiment d’appartenance

De quoi ce renouveau des cérémonies de remise des diplômes est-il le nom ? « C’est, pour les diplômés, une manière festive et solennelle d’achever leur cursus, avec leur famille, commente Sylvain Collonge, responsable administratif de l’institut de formation doctorale de l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC), l’une des 11 composantes de Sorbonne Universités, mais c’est aussi une manière de leur dire qu’ils sont maintenant des ambassadeurs. »

Il cite la loi d’autonomie des universités de 2007 : « Les universités sont maintenant responsables de l’insertion de leurs diplômés, elles doivent se prendre en main et consolider leur communauté. » Et créer, comme nombre d’écoles avant elles, un réseau d’alumni pourvoyeurs d’emplois et de bonne réputation. « Nous souhaitons aussi créer un sentiment d’appartenance qui n’est pas dans la tradition de l’université », confirme Muriel Umbhauer, professeure de biologie à l’UPMC.

Lors de la remise de diplômes de Sorbonne Universités, à Paris. | LAURENT ARDHUIN

Pour les universités ou les regroupements d’universités, ces cérémonies de remise des diplômes sont aussi l’occasion de valoriser, voire de formaliser, une identité. Ce n’est pas pour rien qu’aujourd’hui, au Grand Rex, le logo de Sorbonne Universités est omniprésent. Ce n’est pas non plus pour rien que le retour des cérémonies de remise des diplômes à l’université au tournant des années 2000 est intervenu en parallèle de la politique de regroupement des établissements de formation et des universités (Pôle de recherche et d’enseignement supérieur – PRES, puis communauté d’universités et établissements – COMUE).

« La remise des diplômes est une mise en scène de la distinction »,
Claude Lelièvre, historien

« En tant que nouvelle institution, il est important de marquer le coup par un événement qui montre l’aboutissement de tout un travail collectif », insiste de son côté Sylvie Pommier, directrice du collège doctoral de l’Université Paris Saclay. Cette autre COMUE, dont la première rentrée a eu lieu en septembre 2015, organisait sa première remise de diplômes il y a quelques jours.

Chaque cérémonie est un signal envoyé à l’étranger, et un point gagné dans la compétition internationale des universités. Le classement des universités mondiales de Shanghaï ne date-t-il pas, lui non plus, de l’année 2003 ? « La remise des diplômes est une mise en scène de la distinction, commente l’historien Claude Lelièvre, et bien plus la distinction de l’établissement que des diplômés eux-mêmes. »

Autant de problématiques institutionnelles bien loin des préoccupations des doctorants du jour. Les parents d’Emna Limam, 30 ans, d’origine tunisienne, elle aussi docteure en physique-chimie, ont traversé la Méditerranée pour venir voir leur fille sur scène. « Nous sommes si fiers d’elle », commente son père Taoufik. Tout sourire au milieu de sa famille, Emna conclut : « Cette cérémonie donne de la valeur à mon parcours. Mais aussi à ce diplôme de doctorat, qui n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur en France. »

Emna Limam, diplômée d’un doctorat de physique-chimie, avec sa famille. | Severin Graveleau